A la fois force et impuissance, le Minotaure, alter ego du peintre, est un combattant endurant mais reste une victime sacrificielle.

Si Picasso est angoissé pour l’Espagne libre – le 22 novembre les forces de Franco repoussent les Républicains de leur ligne initiale et marquent la fin de la Bataille de l’Ebre – il l’est davantage pour son œuvre à venir : le châssis ou cadre vide signifiant la mort de la peinture. Dans chacune des cinq natures mortes de la série, la palette et les pinceaux ont une place privilégiée au centre de la table et sont l’objet de convoitise de la bête. Cependant à mesure que l’artiste travaille, la peinture s’estompe progressivement de la palette. Elle apparaît finalement totalement vierge dans Palette et tête de taureau de sorte que l’artiste ne puisse plus peindre, ce qui est encore renforcé par l’abandon de la couleur. Ici le minotaure redevient taureau, continuellement présent dans l’iconographie picassienne, comme intrinsèque à l’image de l’Espagne et de la corrida. Il symbolise à la fois la force et l’impuissance, l’animal est un combattant endurant mais reste une victime sacrificielle. Renversant totalement le genre de la nature morte au sens académique du terme,  Palette et tête de taureau est une formidable allégorie de l’Espagne libre à la fois combative et impuissante mais également de la lutte de l’artiste pour la liberté de création. Si Picasso refuse dans un premier temps de donner pour lecture de cette série la dénonciation de l’oppression fasciste, il déclarera en 1944 dans une interview avec Pol Gaillard publiée dans New Masses : « Je n’ai jamais considéré la peinture comme un art de simple agrément, de distraction ; j’ai voulu, par le dessin et par la couleur, puisque c’étaient là mes armes, pénétrer toujours plus avant dans la connaissance du monde et des hommes, afin que cette connaissance nous libère tous chaque jour davantage ; j’ai essayé de dire à ma façon, ce que je considérais comme le plus vrai, le plus juste, le meilleur, et c’était naturellement toujours le plus beau, les plus grands artistes le savent bien ».

« Les portraits et figures de Picasso sont d'une importance capitale. Ils sont ses toiles les plus vitales des années de guerre. Déformés, grotesques, angoissés, convulsés, pensifs, ou gais, ils offensent, piquent, défient, ou choquent celui qui les observe. La créativité de l’artiste étant nécessairement en avance sur son auditoire, son œuvre est souvent déroutante à première vue ». C’est en ces termes que le collectionneur américain Sidney Janis ouvrait le chapitre sur les femmes assises des années de guerre dans son ouvrage Picasso the Recent Years 1939-1946, publié en 1946. Femme assise en robe grise, peinte durant l’été 1943 dans l’atelier des Grands Augustins, dans un Paris gouverné par le régime de Vichy en est un témoignage exemplaire. S’éloignant des canons traditionnels de la beauté féminine il s’en dégage une incontestable puissance. 

 

Pablo Picasso, 31 août 1943, Z. XIII, 96, Huile sur toile, 130 x 97 cm, collection privée, Picasso, Palazzo Reale, Milan, septembre – novembre 1953, n. 106. Picasso, Bacon, Basquiat, Tony Shafrazi Gallery, New York, 8 mai – 30 juillet 2004, cat. p. 9.