La découverte du sens de l’exil

Picasso a traversé le XXe siècle, connu les courants de pensée et leurs acteurs comme les événements majeurs ou tragiques qui l’ont ponctué. Disert dans ses tableaux, l’artiste n’en est pas moins marqué par l’histoire de son pays. Sa pratique se transforme au fil de ses questionnements sur l’art et sa relation au réel. Car s’il est arrivé en France par curiosité, il s’y est installé d’abord avec plaisir, puis par obligation. L’arrivée de Franco au pouvoir devait définitivement lui fermer les portes de son Espagne natale : cet exil et son engagement politique auront des influences parfois évidentes, parfois subtiles, sur son travail et sur sa vie.

La découverte du sens de l’exil

Lorsque l’Exposition universelle de Paris ferme ses portes le 12 novembre 1900, le désir de modernité, de se frotter au monde de la création s’étend de Munich à Londres, mais avec un point de mire : Paris, « la capitale des arts ». Se rendre à Paris, y revenir, y rester, s’y installer, devient une habitude pour certains, une obsession pour d’autres. Picasso n’échappe pas à cet air du temps, et avec Carles Casagemas, l’ami des années de formation à la Llotja, il s’installe dans l’atelier du peintre Isidre Nonell à Montmartre, avant d’emménager au Bateau-Lavoir, au confort en mode aléatoire. Années de création, d’amitié, d’insouciance, Picasso profite de l’effervescence culturelle et transpose, avec ses amis, l’atmosphère qu’il a connue à Barcelone. Il va s’intégrer au milieu parisien, notamment grâce à Guillaume Apollinaire. Les années qui précèdent la Première Guerre mondiale sont étonnantes de créativité. La guerre, malgré les nombreuses manifestations hostiles au conflit, est déclarée le 3 août 1914.

Avec la crise qui secoue la France, l’entrée en guerre décisive des États-Unis et la défection de l’Empire russe, 1917 est l’année charnière du conflit mondial. Picasso traverse cette période avec lucidité sur la situation géopolitique qui l’entoure. Les conséquences du conflit sont considérables et l’Europe s’en relèvera difficilement. Picasso va désormais connaître les tourments et les vicissitudes du statut d’étranger, pour lui-même, mais surtout pour sa compagne Olga, jeune ballerine russe, fille d’un colonel de l’armée impériale, rencontrée pendant son voyage en Italie et qu’il épouse en 1918.

Olga découvre avec joie la vie parisienne et les Années folles, mais la correspondance avec sa famille restée dans une Russie en pleine révolution révèle son inquiétude concernant les siens. Beaucoup de chagrins ponctuent ces courriers : appels à l’aide, besoin criant d’argent, frères et cousins disparus… Olga ne devait jamais les revoir. Olga, exilée, ressent certainement – derrière son regard un peu perdu peint par Picasso - l’essence profondément fragile de l’individualité confrontée aux aléas de l’Histoire et découvre, au prix de souffrances qui ne peuvent s’exprimer, ce qui signifie le statut social d’étranger sans possibilité de retour.