L’année 1908 sera « la plus marquante » pour l’Association qui va faire l’acquisition d’une peinture de Picasso, à l’origine de la rencontre entre l’artiste et le financier et qui se révèlera comme la pièce phare de la collection : Les Bateleurs. Séduit par l’œuvre de Picasso, le collectionneur se rapproche de Clovis Sagot marchand sans grand scrupule[i], mais qui est alors proche de l’artiste et qui propose des œuvres « plus chères » mais aussi « plus importantes » que ses confrères de Montmartre, en restant toutefois plus abordable que son voisin de la rue Laffitte, Ambroise Vollard.
Sagot apprend alors au comité que Picasso cherche à vendre une toile monumentale représentant des forains à taille réelle. L’œuvre réalisée à l’automne 1905 n’a, semble t-elle, pas intéressée Vollard qui avait pourtant acheté en 1906 une grande partie de l’atelier de Picasso. Le comité tombe sous le charme de cette œuvre dans l’atelier du Bateau-Lavoir et commissionne alors le courtier Lucien Moline pour effectuer la transaction. L’histoire est racontée par Level[ii] : Picasso refuse dans un premier temps l’offre de mille francs laissant croire que des amateurs étrangers sont intéressés. Moline propose alors à l’artiste de garder un acompte de trois cents francs et de réfléchir à la proposition pendant un mois avec possibilité de rétractation.
Pour subvenir à des besoins financiers immédiats, le peintre vient finalement trouver Level quinze jours après la proposition afin de solliciter le solde de sept cents francs. Si la grande composition ne fait pas tout de suite l’unanimité parmi les membres de l’association, son gérant comprend immédiatement que l’œuvre possède « tous les signes du plus grand talent » ce dont il doutait encore pour la seconde acquisition de Picasso en 1908 : la gouache cubiste Fruits dans une écuelle (Fig. 10). Level se bat pour faire entrer les deux œuvres lors de la réunion de l’assemblée de 1908, ce qui n’est pas le cas d’une nature morte de Vincent Van Gogh ou d’un paysage de Georges Rouault, peintures résolument modernes au début du siècle mais qui peuvent déjà être considérées comme classiques face aux tableaux du maître espagnol.
Sur toutes les œuvres de Picasso présentes dans la vente finale de la collection, nous pouvons encore identifier deux œuvres acquises en 1911 auprès d’un marchand du second marché que Picasso n’aimait guère. Grâce au témoignage de Level : « Picasso, dont j’acquis en 1911 de Libaude, qui les tenait, je crois, de Clovis Sagot, les deux grandes et belles gouaches des Trois Hollandaises (Fig.11) et du Clown à cheval [iii] (Fig.11). Les trois œuvres restantes font partie de l’ensemble acquis en 1906 chez B. Weill ou auprès de Soulier. Avec cinq peintures et sept œuvres qualifiées de dessins dans le catalogue, l’espagnol est l’artiste le plus représenté dans la collection constituée au fil des années. Il est surtout celui dont on parle le plus en 1914, à la veille de la vente aux enchères. Celle-ci s’organise lors d’une réunion exceptionnelle des associés fin 1913 qui décide de ses conditions finales. La date est fixée pour le lundi 2 mars 1914.