Les Baigneurs à la Garoupe

"Work in progress - Photographies de David Douglas Duncan"
Exposition au Musée Picasso de Paris jusqu'au 5 juillet 2009

Au début des années 1950, quand Picasso va sur la plage de la Garoupe, à Antibes, avec ses enfants, il voit les baigneurs qui marchent, jouent, courent avant plonger dans la mer, et dont l'ombre à contre-jour se découpe dans la violente lumière du midi. L'ombre compte pour Picasso.
En 1953, il s'est peint, de dos, entrant dans une chambre, son ombre projetée sur le corps d'une dormeuse. En 1955, pendant le tournage du Mystère Picasso, il s'amuse avec des maquettes et des projecteurs et voit tout le parti qu'il peut tirer des éclairages pour faire surgir de nouvelles formes. En 1956, il fabrique des silhouettes avec des morceaux de bois de rebut, trouvés sur la plage ou ailleurs. Des personnages typiques, pas des individus: le sportif enthousiaste qui écarte les bras ou le timide qui sert les mains devant son slip... Ce sont Les Baigneurs de la Garoupe. Des sculptures.

Une légende antique raconte que le potier Dibutades, apercevant l'ombre de sa fille qui se détachait sur le mur de son atelier, s'empressa de la cerner d'un trait ou, autre version, qu'il y plaqua un peu de terre avant de la découper pour faire apparaître un profil de jeune fille. C'est ainsi, dit-on, que fut inventée la peinture. Ou la sculpture.
Avec Les Baigneurs à la Garoupe, Picasso accomplit la légende de Dibutades. Il commence par des figures en trois dimensions. Comme toujours, il travaille à partir de ce qu'il voit, des ombres découpées dans la lumière du midi. Il ajoute sur ses figures en bouts de bois assemblées des dessins pirogravés. Lorsqu'une version de ces cinq baigneurs est tirée en bronze, les dessins disparaissent, et les sculptures redeviennent des silhouettes sombre et lisses, des découpages à contre-jour.
L'histoire de la version en bois et de la version peinte des Baigneurs à la Garoupe raconte la méthode de Picasso. Tout commence par un bricolage, l'utilisation de ce qui se trouve sous la main de l'artiste pour l'asservir à ce qu'il voit. En septembre 1956, peu après avoir finit ses Baigneurs en bois, Picasso exécute un dessin. Il perche deux personnages sur un édicule qui ressemble à un plongeoir, deux autres sur une espèce d'estrade. Il reprend cette composition pendant l'été 57, dans la villa de La Californie, sous l'oeil du photographe David Douglas Duncan dont les clichés suivent la réalisation de cette peinture sur fond d'horizon marin.
Sculpture, peinture, par quoi commencer. Par tout à la fois. Depuis une dizaine d'années, Picasso prend régulièrement le chemin de l'atelier des Ramié, la poterie Madoura à Vallauris. Il y a développé une manière toute personnelle de dessiner les choses dans l'espace, de créer des formes avant de les décorer. Les deux versions des Baigneurs, la première en volume, la deuxième sur la toile, sont l'effet d'une seule manière de voir, et d'une seule manière de faire. La légende du potier Dibutades devient la légende du potier Picasso. Version sculpture ou version peinture? Version Picasso, bien sûr.

Photo: © David Douglas Duncan