Né en 1889 à Argostoli, en Grèce, Kristos Zervos vint à Paris avec sa mère et son frère pour poursuivre des études de philosophie à la Sorbonne et soutenir sa thèse en 1918. À partir de 1923, il travaille auprès de l'éditeur d'art Albert Morancé, puis lance, en 1926, la revue qui allait l'occuper toute sa vie et devenir son oeuvre: Cahiers d'Art. Christian Zervos, principal acteur des 97 numéros parus entre 1926 et 1960, s'est appliqué à soigner sa ligne éditoriale, subtil dialogue entre des critiques, des reportages et des analyses, accompagnés d'une iconographie choisie et de campagnes photographiques devenues mythiques (l'atelier de Picasso par Brassaï ou la conception de Guernica immortalisée par Dora Maar en sont les exemples les plus célèbres). Paul Éluard et René Char sont les deux écrivains les plus régulièrement associés à la revue qui publie également de nombreux textes de critiques choisis par Zervos, journalistes indépendants ou conservateurs de musées. Mêlant images et typographie singulière, chaque numéro est un modèle de graphisme et de lisibilité. Grâce à Zervos, l'art réalisé à Paris et, plus largement, en Europe, est diffusé dans le monde entier. Il appartient à cette génération d'éditeurs (Tériade, Skira, Iliazd), tous d'origine étrangère, qui firent de Paris le phare de l'édition d'art.
Zervos saisissait l'importance et la portée des oeuvres dont il était le témoin et Yvonne, son épouse, tenait une galerie qui ne démarra véritablement qu'en 1934 avec des expositions de Miró, Kandinsky, Ernst, Arp, Hélion, Giacometti et Gonzalez. Elle présenta régulièrement les artistes défendus par la revue et organisa également la dernière grande rétrospective de Picasso à Avignon, en 1970, mais décéda peu de temps avant son ouverture.
Avec la même détermination, Christian Zervos, malgré de récurrents problèmes financiers, édita quelques livres qui firent date. À partir de 1932, méthodiquement, il démarra une analyse scrupuleuse et systématique du travail de Picasso, afin de saisir l'intimité de l'oeuvre de l'artiste dont il comprend avant l'heure le rôle essentiel dans l'art du XXe siècle. Zervos publia ainsi dans sa revue de sérieuses analyses sur Picasso et des entretiens, comme celui publié dans le numéro de 1935, repris par Alfred Barr, directeur du MoMA, à New York, dans le catalogue de l'exposition Picasso Forty Years of His Art en 1939 et qui longtemps fera autorité. Il entreprit parallèlement le catalogue raisonné de ses oeuvres qui fait encore référence aujourd'hui, dont le 33e et dernier tome parut en 1978, huit ans après la mort de celui qui poursuivit ce travail avec ardeur et fidélité sa vie durant. Zervos est le premier à avoir entrepris ce type de recherches et de publication, qui marqua définitivement la manière d'étudier l'art.
C'est également à Zervos que l'on doit la création de ce qui allait devenir le Festival d'Avignon, fruit d'une discussion estivale avec Yvonne et René Char durant l'été 1946. L'année suivante, Jean Vilar devait présenter trois créations dramatiques dans la cour d'honneur du Palais des Papes et les Zervos une importante exposition réunissant les grands noms de la création contemporaine (Picasso, Matisse, Braque, Léger, Chagall, Brauner, Klee, Kandinsky, Miró, Giacometti, etc.).
Engagé politiquement, le couple quitta Paris pendant la Seconde Guerre mondiale pour s'installer à La Goulotte, une maison acquise en 1937 à l'écart de la ville de Vézelay, et s'engagea dans la Résistance. Pendant l'Occupation, les locaux de Cahiers d'Art servirent de lieu de réunion et de dépôt d'éditions clandestines. À sa mort en 1970, la même année que son épouse, c'est à la ville de Vézelay que Zervos légua sa collection et les archives des Cahiers d'Art, dans l'idée d'utiliser ce patrimoine pour créer un musée et une fondation Yvonne Zervos. Depuis l'automne 2005, sous la houlette de Christian Derouet, un musée présente au public un choix d'oeuvres faisant partie du legs, ou acquises par le musée car elles avaient été en possession des Zervos ou exposées dans les locaux de Cahiers d'Art, ou encore prêtées par d'autres musées. Une salle entière est consacrée à Picasso.
Tête de roi, 1969 (Donation Zervos Vézelay)