"Songes et mensonges de Franco" puis "Guernica" en 1937, des cris et de la politique

La première réaction politique de Picasso, à partir de janvier 1937, est une série inachevée de gravures en deux planches, Songe et mensonge de Franco (Sueño y mentira de Franco), à travers lesquelles l’artiste entendait dresser un « acte d’exécration de l’attentat dont est victime le peuple espagnol ».[1] Picasso avait envisagé une édition de solidarité en cartes postales mais ce projet ne vit pas le jour.

« Il y a quatorze scènes en deux planches de neuf (ce qui fait dix-huit ; je vous dirai ce que j'ai fait des quatre dernières). Dans les neuf premières scènes de la première planche, Franco chevauche un destrier ridicule, fait de l'équilibre sur un fil de fer, s'attaque à coups de pioche à une belle statue, se fait charger par un taureau, prie devant l'autel de l'argent (l'hostie est remplacée par une pièce d'un douro) ; il monte sur un cochon. Dans les cinq premières cases de la deuxième planche, il n'est pas toujours présent. Dans la première, il tue Pégase mais il n'apparaît pas dans les deux suivantes, très belles : l'une représente une forme blanche féminine étalée sur la plaine : c'est Pégase mort transformé en femme. Dans la case suivante cette femme se transforme en un cheval endormi. Franco réapparaît en carotte ricanant devant un taureau sage. Dernière case : le taureau encorne Franco qui a un corps de zèbre. Vous voyez que ce n'est pas ennuyeux. J'ai utilisé les quatre cases qui restaient pendant que je peignais Guernica pour y graver des détails de Guernica. »[2]

Travaillant à « Guernica » en avril et mai 1937, Picasso fait, pour la première fois, une déclaration politique : « La guerre d'Espagne est la bataille de la réaction contre le peuple, contre la liberté. Toute ma vie d'artiste n'a été qu'une lutte continuelle contre la réaction et la mort de l'art. Dans le panneau auquel je travaille et que j'appellerai “Guernica”, et dans toutes mes œuvres récentes, j'exprime clairement mon horreur de la caste militaire qui a fait sombrer l'Espagne dans un océan de douleur et de mort. » Picasso cherchait des pistes possibles pour cette commande du pavillon espagnol de l’exposition internationale de 1937. Témoin de l’immense émotion collective provoquée par le bombardement de populations civiles, entrainant la mort de plus de 1500 personnes le jour du marché de ce village basque espagnol dont l’œuvre porte le nom, Picasso, outré et très affecté, recouvrit rageusement la toile en préparation. En lui donnant le nom du village martyr, la compréhension du tableau ne pouvait être que politique, dénonçant sans ambiguïté aucune la barbarie fasciste.

Installé dans le pavillon espagnol, Guernica déçoit pourtant ceux qui en attendaient un appel aux armes.

 

[1] Georges Sadoul, « Une demi-heure dans l’atelier de Picasso », Regards, n°185, 29 juillet 1937.

[2] Jacques. Perry, Yo Picasso, Paris, JC Lattès, 1982, p. ‎414.

Picasso, Songes et mensonges de Franco, 1937
Picasso, Songes et mensonges de Franco, 1937. Musée d’Art moderne de la Ville de Paris.
Picasso, Guernica, 1937.
Picasso, Guernica 1937.
Madrid, Musée Reina Sofia.