Breton, Picasso et les 100 ans du surréalisme.

Cent ans après la parution du Manifeste d’André Breton[1], le Musée national d’Art moderne retrace l’épopée incroyable du surréalisme, ce mouvement qui a durablement marqué l’histoire des idées et l’histoire de l’art, et dont Picasso, proche d’André Breton, fut un témoin privilégié.

Dans sa quête sensible de la compréhension du monde, de la construction d’une « autre vie », André Breton, par la poésie, l’écriture et la peinture a dialogué et confronté son point de vue avec nombre d’intellectuels et d’artistes. Ses liens avec Picasso furent tour à tour distants ou intimes. Leur relation ressemble à « une histoire de cœur, avec ses élans, ses déclarations, ses hauts et ses bas. Illusions et désillusions, brouilles et réconciliations. »[2]

C’est par l’intermédiaire d’Apollinaire que Picasso rencontre André Breton. Mais Breton s’intéresse à Picasso de façon plus prononcée dès les années 1920 et semble prendre vraiment conscience de l’art de ce dernier en 1922, de son importance dans l’histoire qui s’écrit, déclarant lors de sa conférence intitulée Caractère de l’évolution moderne et de ce qui y participe : « C’est la première fois que s’impose si fort en art un certain côté hors-la-loi que nous ne perdrons pas de vue en avançant. »[3]

Le jeune poète voue un véritable culte au peintre, comme en témoignent ses lettres datées de 1922 et 1923 : « Mon admiration pour vous est si grande qu’elle ne trouve pas toujours le moyen de s’exprimer. »[4]  Breton qui travaille pour Jacques Doucet, couturier et grand collectionneur, tente de lui faire acheter La Danse, que l’on peut considérer comme l’un des tableaux les plus surréalistes de Picasso, mais dont l’interprétation esthétique varie pourtant selon le regard de celui qui l’étudie.[5] Il va reproduire ce tableau, ainsi que Les Demoiselles d’Avignon dans le premier numéro de La Révolution surréaliste dont il assure la direction, le numéro 4 du 15 juillet 1925, dans lequel il publie « Le surréalisme et la peinture », citant Picasso à plusieurs reprises. Picasso a, quant à lui, énergiquement démenti une quelconque influence surréaliste dans son travail. Le peintre incarne, pour Breton « l’essentiel, c’est-à-dire le projet d’existence, l’interaction entre l’homme et le monde, entre l’art et la vie, la tension maintenue entre la conscience des réalités politiques et sociales et les richesses multiformes de la subjectivité. »[6]

En 1933, Picasso, de son propre aveu tout de même fort proche des surréalistes, réalise un assemblage pour le premier numéro de la revue Minotaure, parue le 1er juin 1933. Dans « Picasso dans son élément », écrit et illustré avec les photos de Brassaï prises dans l’atelier de l’artiste, Breton salue son travail en concluant : « Les limites assignées à l’expression se trouvent, encore une fois, dépassées. […] Tout ce qu’il y a de subtil au monde, tout ce à quoi la connaissance n’accède que lourdement par degrés : le passage de l’inanimé à l’animé, de la vie objective à la vie subjective, les trois semblants de règnes, trouve ici sa plus surprenante résolution, parvient à sa plus mystérieuse, à sa plus sensible unité. »[7]

Le 25 septembre 1935, André Breton écrit à Picasso : « Je souhaiterais alors de me trouver là un peu sur votre passage pour vous serrer la main, et mettre dans ce geste toute l’émotion que je n’ai jamais cessé d’éprouver en pensant à vous ; vous savez combien je vous admire et comme j’ai rêvé, quand j’étais jeune, d’occuper une petite place dans votre vie. »[8] Cette lettre témoigne d’un certain degré d’intimité entre les deux hommes, qui s’est subtilement tissé au fil des ans. C’est sans doute la période pendant laquelle Breton a été le plus proche de l’artiste.

En 1936, Breton publie également dans Cahiers d’art « Picasso poète », analyse ceux de Picasso. Il cherche à décrypter la démarche de l’artiste dans ces poèmes semi-automatiques, les relations entre le mot et l’image et le fond poétique d’un artiste pour qui peinture et poésie ne font qu’un.

Entre janvier et juillet 1940, tandis que Breton est mobilisé comme médecin chef à Poitiers, Picasso et Dora Maar accueillent à Royan sa femme Jacqueline et leur fille Aube. Breton les retrouve pendant ses permissions. Puis Breton s’exile aux États-Unis. Entre eux, la rupture interviendra au retour de ce dernier après la Seconde Guerre mondiale, Picasso ayant, durant son absence, adhéré au Parti communiste. Breton devait lui signifier leur brouille définitive au détour d’une rencontre dans les rues de Golfe Juan. Dans un texte, « 80 carats…mais une ombre », publié en novembre 1961 dans Combat Art, à l’occasion du 80e anniversaire de Picasso, Breton s’explique, dénonce les choix politiques de Picasso, justifiant ainsi leur séparation.

Les rapports entre les deux hommes ont tour à tour mêlé l’affectif, l’artistique, l’intellectuel et le politique. Difficile, dans ces conditions, de garder la complicité que semble espérer André Breton, d’autant que Picasso paraît avoir plutôt gardé une certaine distance avec le mouvement surréaliste. Breton a peut-être trop demandé, trop attendu, trop espéré de Picasso.

Surréalisme, MNAM-Centre Georges Pompidou, du 4 septembre 2024 au 13 janvier 2025.


[1] André Breton, Manifeste du surréalisme, éditions du Sagittaire, 1924.

[2] Marie-Laure Bernadac, André Breton, la beauté convulsive, MNAM, Centre Pompidou, 1991, p. 210.

[3] Dictionnaire Picasso, p. 139.

[4] Lettre du 9 octobre 1923. Laurence Madeline, Les Archives de Picasso, RMN, 2003, p. 212.

[5] John Richardson, A Life of Picasso, Pimplico, 2009, p. 293.

[6] Marie-Laure Bernadac, André Breton, la beauté convulsive, MNAM, 1991, p 211.

[7] Minotaure, 1er juin 1933.

[8] Les Archives de Picasso, p. 212.

Revue Minotaure, n°1 Albert Skira éditeur, Lausanne, 1933.
Paris, musée national Picasso-Paris.