Il se glisse dans la vie des grands maîtres du passé pour s’exprimer à travers eux. Les Variations occupent le peintre pendant quinze ans. Mais Picasso se confronta également à Poussin et Cézanne, Cranach ou Rembrandt… Dans ses tableaux, les personnages changent de place, de physionomie, de rôles, d’expression, ils se métamorphosent en allégories, en éloge de la tendresse, en indignation parfois. Picasso fait évoluer ses protagonistes par des mises en scène soignées. On y décèle l’humeur de l’artiste, son bonheur ou sa tristesse, ses emportements aussi. Il interpelle le spectateur, rend compte de son univers créatif. Sous son pinceau, majestueux et théâtral, tout est sujet et forme nouvelle.
« C’est déjà tellement difficile quand on est seul ! Quelle idée on a de faire entrer un autre peintre dans l’atelier ! »[1]
La série des Femmes d’Alger est réalisée dans l’atelier des Grands Augustins, à Paris, et coïncide avec la mort de Matisse (auquel il rendra hommage dans la série des Ateliers, réalisée à Cannes), la rencontre de l’artiste avec Jacqueline après une parenthèse heureuse puis sa rupture avec Françoise Gilot et, enfin, les débuts de l’insurrection algérienne. Si Picasso s’en donne à cœur joie, change les personnages voluptueux et leur position, dynamise les corps, les couleurs et les formes, travaille la profusion des détails, expérimente d’autres écritures picturales, s’il s’attache à rendre hommage à Delacroix qu’il admire tant, il est certain que le choix de ce tableau dans l’actualité du moment n’est pas anodin. On sait à quel point l’artiste à l’itinéraire compliqué, contrasté, suit les événements et s’empare du moment présent dans son travail, dans lequel ses émotions comme sa vie quotidienne ont toujours joué un rôle majeur.
[1] Citation extraite du livre d’Hélène Parmelin, Voyage en Picasso, Paris, éditions Robert Laffont, 1980, p. 77.