
Pablo Picasso, Paul dessinant, 1923, musée national Picasso-Paris
Photo RMN-Grand Palais/musée national Picasso-Paris, Mathieu Rabeau
© Succession Picasso, 2020
Édito
Quelle année nous venons de passer ! Si la crise sanitaire a laissé peu de place à d’autres actualités, elle a eu le mérite de nous rappeler l’importance que revêt la culture et les arts dans notre vie. L’accès à la connaissance est un bien universel précieux qu’il nous faut protéger, défendre, soutenir.
Nous avons collectivement pris conscience de sa fragilité. Nous avons compris à quel point cette absence nous pesait. Artistes, femmes et hommes de culture, ensemble il faut préserver cette liberté d’apprendre et de transmettre, à travers des œuvres ou des mots. Espérons que 2021 nous apporte la renaissance espérée et attendue, à laquelle nous aspirons tous.
Nous continuerons à informer, à rendre accessible au plus grand nombre et à diffuser les recherches et événements autour de Picasso par l’intermédiaire de notre magazine online, sur notre site picasso.fr.
Claude Picasso

Pablo Picasso, Amour, c.1943, collection privée
© Succession Picasso, 2020
Rodin-Picasso :
une exposition, deux lieux
La confrontation du travail d’Auguste Rodin (1840-1917) et de Pablo Picasso révèle des points de contacts déjà connus, mais aussi des similitudes insoupçonnées. Ces deux artistes hors du commun ont marqué l’art moderne à leurs époques respectives. Picasso découvre le travail de Rodin en 1900, lors de la rétrospective qui lui est consacrée à côté de l’Exposition universelle. L’œuvre de Rodin semble l‘avoir marqué.

Pablo Picasso, L’Arrosoir fleuri, 1951-1953, musée national Picasso-Paris
Photo RMN-Grand Palais/musée national Picasso-Paris, Sylvie Chan-Liat
© Succession Picasso, 2020
Le croisement de leur processus créatif mettra donc en lumière des convergences qui jalonnent leurs recherches, comme l’expérimentation, le travail en séries et la perpétuelle mutation des formes. Ce rapprochement est d’autant plus intéressant que les deux artistes n’ont jamais eu l’occasion de se rencontrer. On sait à quel point Picasso aimait s’enrichir intellectuellement à l’observation du travail de ses pairs, fréquentant musées, expositions et galeries, observant passionnément les œuvres de ses illustres prédécesseurs.
Déclinée simultanément au musée national Picasso-Paris et au musée Rodin, l’exposition permettra de découvrir maintes facettes de ces proximités inattendues. Faisant dialoguer tous les domaines de création (peinture, sculpture, céramique, arts graphiques et photographie), elle montrera la richesse des procédés artistiques : de l’assemblage à la récupération de matériaux, du rapport à l’espace au monument public, du regard porté sur le fragment au goût pour l’inachèvement…
Une exposition organisée par le musée national Picasso-Paris et le musée Rodin.
Musée Picasso à partir du 9 février 2021
Musée Rodin à partir du 9 février 2021

Pablo Picasso, Tête de femme, 1933, musée national Picasso-Paris
Photo RMN-Grand Palais/musée national Picasso-Paris, Adrien Didierjean
© Succession Picasso, 2020

Pablo Picasso, Visage, 1934, musée national Picasso-Paris
Photo RMN-Grand Palais/musée national Picasso-Paris, Mathieu Rabeau
© Succession Picasso, 2020
Laboratoire de l’écriture
La poésie s’est imposée à Picasso avec force à un moment donné, certes particulier, de sa vie privée et de réorientation dans son travail plastique. « Il est très probable que je ne peindrai jamais plus : j’aime la vie d’homme de lettres, je vais dans les cafés et je pense et je fais un poème et ça me plaît », confie-t-il à Gertrude Stein. Or, Picasso n’a jamais revendiqué le statut de l’écrivain à part entière et ne se considérait pas en écrivain « comme les autres ». Sans aucune intention d’imiter une littérature préexistante, il se livre à l’écriture avec d’autant plus de liberté que ce domaine n’est pas tout à fait le sien et qu’il n’a besoin d’aucune instance de légitimation.

Pablo Picasso, Fleur plus douce que le miel, 1935, musée national Picasso-Paris
Photo RMN-Grand Palais/musée national Picasso-Paris
© Succession Picasso, 2020
Très tôt dans sa vie, Picasso fait l’expérience du décentrement : parler et écrire dans une autre langue que la sienne lui fait prendre conscience des mécanismes mis en jeu dans le passage de l’une à l’autre. « Si on pouvait écrire mal ! Maintenant les écrivains ont simplement déplacé quelque peu les mots en respectant la syntaxe. Il faudrait avoir une parfaite connaissance de la sémantique et écrire mal », déclare-t-il à Geneviève Laporte. Il refuse de corriger les erreurs, qu’il souligne parfois de plusieurs traits pour montrer leur caractère intentionnel. Disant à Sabartés que « c’est aux erreurs qu’on reconnaît la personnalité », il préfère créer sa propre grammaire plutôt que d’obéir à des règles qui ne lui appartiennent pas. C’est en effet ce que Picasso tente dans sa poésie avec la déconstruction du langage, l’abandon des hiérarchies et, surtout, l’effondrement du sol sur lequel reposent les certitudes de la grammaire normative. Picasso expérimente et trace « une sorte de langue étrangère », « un devenir-autre de la langue ». Contrairement à James Joyce, à qui le compare Michel Leiris, Picasso ne joue pas à inventer de nouveaux mots ; il ne touche pas aux mots mais à la structure même de la langue. Il partage en cela plusieurs affinités avec Gertrude Stein, et notamment le caractère asyntaxique des textes impossibles à ponctuer, l’indécision du genre et la présence de personnages génériques (le I, le II), la présence essentielle des mathématiques, l’usage incantatoire de la répétition, le choix des sujets et des mots ordinaires qui se comportent comme des choses concrètes.
Entre spontanéité et maîtrise, coulée libre ou retour au geste initial pour en faire des variations en de multiples reprises, Picasso ne s’interdit rien. Les procédés qu’il met en place dans son écriture sont tout aussi diversifiés que ceux qui animent son œuvre plastique.
Certains textes élaborés en un seul jet et sans reprise ressemblent parfois, avec leur écriture régulière, à une page imprimée. Ailleurs, les multiples ratures se transforment en dessin et échappent au caractère utilitaire de la tache qui efface pour envahir visuellement l’espace de la page. Parfois, il se plaît à faire des rimes ou à expérimenter des formes courtes tels les haïkus japonais. Du brouillon et du gribouillis à la calligraphie, l’écriture change en fonction du support. Le geste d’agression sur une plaque gravée devient caresse sur du papier d’Arches à l’encre de Chine, alors que la page d’un petit carnet est à peine effleurée par le crayon à papier. […]
Androula Michael, extrait de « Laboratoire de l’écriture », paru dans le catalogue de l’exposition Abécédaire, Picasso poète, Museo Picasso Barcelone (7 novembre 2019-23 février 2020) et musée national Picasso-Paris (21 juillet 2020-novembre 2020).

Pablo Picasso, Fleur plus douce que le miel, 1935, musée national Picasso-Paris
Photo RMN-Grand Palais/musée national Picasso-Paris
© Succession Picasso, 2020

Pablo Picasso, My Lady gai rit sable, 22 mars 1936, musée national Picasso-Paris
Photo RMN-Grand Palais/musée national Picasso-Paris
© Succession Picasso, 2020
En 1921 naquit Paulo
On sait combien Picasso était sensible à la présence des enfants. Si les peintures sur ce thème jalonnent son travail dès 1901, comme celles des pauvres familles de saltimbanques, la naissance en 1921 de son premier enfant, son fils Paulo, qu’il a eu avec Olga, épousée en 1918, est une étape importante dans sa vie personnelle et dans son travail. Le traitement de l’enfance dans sa peinture évolue avec ses propres états d’âme, entre sérénité et tumultes intérieurs. Paulo est délicatement dessiné dès sa naissance en 1921, et on suivra ses premiers pas, ses jouets, ou sa vie quotidienne.

Pablo Picasso, Olga donnant un biberon à Paulo, 6 juillet 1921, musée national Picasso-Paris
Photo RMN-Grand Palais/musée national Picasso-Paris, Mathieu Rabeau
© Succession Picasso, 2020
Soucieux d’éveiller son fils, de le faire progresser, Picasso, protecteur et attendri, lui fabrique des jouets, le regarde grandir, fête son anniversaire, l’observe et le peint sans retenue : le garçonnet devient le sujet de plusieurs de ses tableaux, déguisé en Arlequin ou en Pierrot, en train de dessiner ou de jouer.
À la fois proche et lointain de ses enfants, au gré des aléas de la vie, Picasso semble toutefois chaleureux à leur contact, comme en témoignent les photographies de Quinn ou Duncan prises dans l’intimité familiale, dans lesquelles beaucoup de douceur émane de son regard. Père sinon dévoué, du moins attentif, son travail célèbre la famille le temps des vacances ou d’un séjour auprès de lui. Les enfants de l’artiste, Paulo, puis Maya, Claude et Paloma, deviendront des modèles évoquant l’âge de l’insouciance. Il imagine pour eux des jeux qui nourriront ensuite son propre travail (petit cheval ou poupées, voitures miniatures et autres mousquetaires). Alors les jouets finissent par devenir des œuvres et non plus des jouets ! Au début, c’est un amusement, et puis d’un coup, l’artiste passe dans une autre dimension et le jouet devient une sculpture. Picasso mêle l’humour et le divertissement, la sincérité et la complicité avec les enfants qui l’entourent, qui participent à leur manière à l’esprit des lieux. D’ailleurs, ils étaient bienvenus dans son atelier. « Dans l’atelier, on ne peut accepter que les enfants et les animaux, les adultes, il faut les mettre dehors parce qu’ils cassent tout » s’amusait-il à répéter…

Pablo Picasso, Olga et Paulo, 1922, musée national Picasso-Paris
Photo RMN-Grand Palais/musée national Picasso-Paris, Mathieu Rabeau
© Succession Picasso, 2020