L’ardent défenseur de l’œuvre de Picasso

Leiris, qui avait refusé de publier durant l’Occupation, ne collaborant qu’à des revues clandestines ou semi clandestines, s’engage à la Libération plus encore pour Picasso. Il signe en octobre 1944 la déclaration du Conseil national des écrivains, en défense de Picasso à l’occasion du Salon d’automne, où sont exposées soixante dix-neuf œuvres qui provoquent un scandale. L’artiste reçoit un flot de lettres d’insultes : « Je crains que votre esprit ne soit aussi bancal et aussi grotesque que votre barbouillage. » Ou celle-ci, envoyée par des élèves de Sciences-Po : « Votre infecte peinture donne des haut-le-coeur à tous ceux qui ont conscience de la valeur et de la mission de la peinture. » [1]. En réalité, c’est bien l’annonce de l’adhésion de l’artiste au Parti communiste français qui provoque un tollé. Le 5 octobre 1944, cette information occupe quatre colonnes à la une de L’Humanité, illustrée par une photo où le peintre se trouve en compagnie de Marcel Cachin, le directeur du quotidien communiste, de Jacques Duclos et de Francis Jourdain, avec en légende une formule souvent reprise depuis : « Je vais au Parti comme on va à la fontaine. »

Cette adhésion a certainement été préparée pendant la guerre, Picasso ayant fait la connaissance de Laurent Casanova, par le truchement des Leiris qui l’hébergeait clandestinement. Ce collaborateur direct de Maurice Thorez, l’un des responsables de la résistance communiste, est chargé après la guerre des relations du Parti avec les intellectuels. Un texte de Leiris – qui n’est plus depuis longtemps membre du PCF, à propos de l’exposition « Picasso libre » à la galerie Louis Carré en juin 1945, se fait l’ardent défenseur d’un Picasso à la fois reconnu et rejeté. « L’extraordinaire capacité de renouvellement qui fait que chaque série récente de ses œuvres surprend même les gens les plus avertis de son art – capacité poussée chez Picasso à un degré unique dans l’histoire de la peinture – pourrait sembler, de prime abord, suffire à expliquer cette réaction hostile : dans sa constante métamorphose, Picasso gagne de vitesse un public à qui il faudrait non des années, mais des siècles, pour s’éduquer et se mettre à même d’apprécier chacune de ses nouvelles “manières” » [2].

En 1948, Kahnweiler organise à la galerie Louise Leiris sa première exposition depuis bien longtemps et publie aux éditions du Chêne Les Sculptures de Picasso, livre entrepris après les visites à Boisgeloup. Il obtient petit à petit une quasi-exclusivité de l’artiste. À partir des années 1950, les expositions Picasso se succèdent à la galerie, souvent accompagnées de textes de Michel Leiris : « Œuvres récentes de Picasso » (19 mai-13 juin 1953), puis « Picasso. Peintures 55-56 » (26 mars-avril 1957), pour l’exposition qui inaugure les nouveaux locaux de la galerie au 47 rue de Monceau. Michel Leiris préface les catalogues de l’exposition de gravures en 1957 avec un texte intitulé « balzacs en bas de casse et picassos sans majuscules », celle des Ménines en 1959, celle de dessins de 1960, celle de janvier 1964 consacrée à des peintures sur le thème du peintre et son modèle, celle de février 1968 (« Dessins 1966-1967 » où Leiris retrouve « ces figures que presque toutes on jugerait portraits [bien qu’elles] ne le soient souvent que d’elles-mêmes... ») et, enfin, celle de mai 1984 (51 peintures 1904-1972).


[1] Les archives de Picasso : « On est ce que l’on garde ! », Paris, Musée Picasso, 2003, catalogue RMN

[2] Publié dans le journal Volontés, émanation du mouvement Ceux de la Résistance

Picasso, 8 portraits de Balzac, lithographies, 1952
Picasso et les époux Leiris à la Californie, photo d'Edward Quinn, Leiris de dos au premeir plan , et Louise Leiris à coté de Picasso