Les Ménines de Picasso, analyse de Michel Foucault

Le livre de Michel Foucault, Les Mots et les choses (1966), s'ouvre sur l'analyse du tableau des Ménines de Vélasquez, initialement publiée dans la revue du Mercure de France («Les suivantes», 1964). Il s'agit d'un des premiers textes du philosophe s'appuyant sur l'histoire de l'art. D'autres suivront, comme les conférences sur la peinture de Manet en 1971 ou des préfaces de catalogues d'amis peintres, Gérard Fromanger et Paul Rebeyrolle pour ne citer qu'eux. Selon Michel Foucault, «Peut être y a t-il, dans ce tableau de Vélasquez, comme la représentation de la représentation classique, et la définition de l'espace qu'elle ouvre» en suggérant des perspectives pour une interprétation nouvelle: «La représentation peut se donner comme pure représentation». Comme l'a noté Daniel Arasse («Éloge paradoxal de Michel Foucault à travers les Ménines», une des émissions de France Culture enregistrées en 2003, l'année de sa mort, et reprises en livre sous le titre Histoires de peinture), ce texte est un «modèle d'intelligence, de description et d'élégance d'écriture. C'est en même temps un texte historiquement faux.» Tout le système inventé par Foucault repose en effet sur le miroir, en s'interrogeant sur ce qu'il reflète. Or le commanditaire du tableau, le Roi, se reflète dans le miroir. Mais la pensée de Foucault permettrait de «démocratiser» les Menines, telles qu'elles sont accrochées au Musée.

Quelque temps après la sortie des Mots et des choses, Michel Foucault fut contacté par la galerie Maeght pour participer à l'écriture d'un scénario sur la série des Ménines, peinte entre août et décembre 1957 par Pablo Picasso (série de cinquante-huit peintures conservée intégralement au musée Picasso de Barcelone et comprenant quarante-cinq variations sur le tableau). Foucault accepta cette proposition et y travailla à partir de juillet 1970.

Quant au film, il ne fut jamais tourné, le réalisateur s'étant même vu refuser l'accès au Musée du Prado. Le Cahier de l'Herne (n°95, 2011, sous la direction de Philippe Artières, Jean-François Bert, Frédéric Gros, Judith Revel) a publié le tapuscrit de dix-huit pages de Michel Foucault. La pensée du philosophe s'y déploie en plusieurs temps, s'intéressant aux personnages, aux couleurs et aux formes. Il note ainsi que, dans les variations, le peintre prend plus d'importance que dans le modèle de Vélasquez avant de disparaître complètement. Il livre une brillante analyse des variations autour des cinq couleurs que portent les personnages de Vélasquez: «Dans le tableau de Vélasquez, chacun des cinq personnages porte la couleur qui lui est propre. Vert pour la duègne à genoux, jaune pour l'infante, vert à nouveau pour la dame d'honneur, bleu pour la naine, rouge pour le bouffon.» La phrase fondamentale que Picasso reprend telle quelle à Vélasquez - vert, jaune, vert, bleu, rouge - [...] va maintenant chanter pour elle-même - chaque note pouvant être portée à sa plus haute intensité, à sa plus grande force de contraste. »Et c'est bien entendu sur le miroir qu'il va conclure: «En plaçant au fond de son tableau un miroir, Vélasquez avait amené, derrière la frise des personnages, le reflet - bien incertain - de ce qu'ils voyaient devant eux. Picasso n'a jamais omis ce miroir, chaque fois qu'il a varié le tableau dans son ensemble. Mais il n'y a fait apparaître l'ombre possible d'un personnage que bien rarement. »Dans l'une des variations apparaît un visage« Visage du roi? Plutôt le double ironique du visage du peintre, qui se trouve ainsi pris à revers, et comme moqué dans un reflet optiquement impossible. Mais le plus souvent le miroir est une surface vide: obscurité profonde, carré rouge qui ramasse et relance dans la nuit la lumière générale du tableau, simple fenêtre blanche qui ouvre la toile sur un dehors sans forme ni figure. »

Variation d'après Les Ménines de Velasquez: Vue d’ensemble, 17 aout 1957 Museu Picasso Barcelone