En 2018, le musée Picasso de Barcelone a rendu publiques les lettres que Picasso a adressées à Jaime Sabartés, déposées par l’artiste à la condition de respecter un délai de 50 ans avant leur communication. L’exposition Sabartés por Picasso por Sabartés permettait ainsi de revenir sur un « compagnonnage », commencé à la fin du XIXe siècle, et qui a donné lieu à un récit, Picasso retratos y recuerdos (en français Picasso portraits et souvenirs, Louis Carré et Maximilien Vox, 1946 - avant l’édition espagnole parue en 1953 - réédité dans les années 1990 et à nouveau indisponible). On sait peu de choses de cet homme qui devient, en 1935, le secrétaire personnel de l’artiste. « Je fais sa connaissance, en 1899, à Barcelone. […] De cette première visite à l’atelier de Pablo Ruiz, je garde un souvenir admiratif pour l’artiste qui a réalisé, dès sa prime jeunesse, une œuvre abondante » écrit le jeune étudiant en sculpture.
Ils se retrouvent à Paris dès 1901, date à laquelle Picasso peint Le Bock (El Poeta Jaime Sabartés) aujourd’hui au musée Pouchkine, à Moscou. Puis Sabartés part vivre de longues années au Guatemala (1904-1926) pour travailler dans l’entreprise de son oncle, avant de partir en Uruguay de 1928 à 1932. Les deux amis correspondent et Sabartés écrit un livre sur Picasso (Picasso en su obra). Il revient en Europe en 1932, à Paris puis à Madrid, et, enfin, à partir de novembre 1935, devient chargé du secrétariat de l’artiste : « Cette fois à la demande de Picasso, avec l’intention de vivre chez lui, rue La Boétie. » « Depuis ce jour, ma vie reste dans le sillage de la sienne sans que je me demande combien durera cette illusion, puisque nous nous sommes proposé que ce soit pour toujours. »
Si Picasso sollicite Sabartés, c’est qu’il est, à l’été 1935, au milieu d’une grave crise conjugale avec Olga, à quelques semaines de la naissance de Maya, la petite fille de Marie-Thérèse Walter. Il a besoin d’un soutien tant amical que logistique. Cette cohabitation n’ira pas sans difficultés, jusqu’à son départ du domicile de l’artiste en janvier 1937. Mais Sabartés reprend du service en novembre 1938, cette fois au 7 de la rue des Grands-Augustins. Il continue à publier quelques articles sur l’œuvre de son ami et en particulier un témoignage sur la « période bleue » (en 1955), jugé incontournable pour les commentateurs – nombreux – de cette courte phase. Il s’essaie au roman mais sans grand succès, avec deux textes parus respectivement en 1947 (Don Julián) et en 1949 (Son Excellence, ce dernier traduit par Geneviève Laporte qui entretient alors une relation brève et passionnée avec Picasso). Les œuvres offertes par Picasso à Sabartés sont avant tout des œuvres graphiques, mais l’exposition de 1958 a permis de révéler une série de collages de 1957-1958 où Picasso s’amuse à insérer la caricature de son ami dans des images de « pin-up ».
Une grande partie du fonds du musée Picasso de Barcelone provient de la donation de Sabartés (427 œuvres en 1963) puis de Picasso qui continue, au-delà du décès de son ami, à offrir au musée un tirage de chacune des estampes qu’il réalise, la « prueba Sabartés » (l’épreuve Sabartés), émouvant témoignage d’amitié.