Dessins préparatoires des années 1950.

Picasso a également réalisé un nombre de têtes de femme en forme de sculptures céramiques et a exploré aussi dans les années 1950, mais de manière plus sporadique, l’association d’un visage humain et d’un vase. Sur un grand dessin élaboré au crayon coloré et à l’encre de Chine sur papier, daté de 1951 (fig.27), Picasso anticipe la forme et le décor d’un vase plastique à deux anses courbées dérivées des anses du Cavalier (fig. 22) et un visage élégant de femme de profil placé sous le goulot. Il indique déjà sur le dessin préparatoire le décor géométrique antiquisant en bandes horizontales, en cercles et spirales. Nous n’avons pas connaissance d’une réalisation en céramique de ce dessin mais trois ans plus tard, en 1954, Picasso remodèle une cruche globulaire pour lui conférer, rehaussé par la peinture, le visage d’une jeune fille et applique des fleurs modelées tout autour de l’ouverture colorée aux oxydes sous couverte transparente.

La plupart des céramiques tridimensionnelles de Picasso préparées dans des dessins ont pour sujet des animaux ou bien la figure féminine. Une rare exception sont les études de vases, décorés avec un costume masculin, datés du 23 et du 28 mai et qui semblent faire partie d’une série d’au moins quatre, comme l’indique l’artiste lui-même sur les feuilles en chiffres romains.

Ce décor de costume, veste et cravate, Picasso va le transférer à une forme inventée par Suzanne Ramié et produite en série à l’atelier Madoura. Le Grand vase à deux anses et petits pieds, Picasso va ainsi le transformer en lui insufflant de la vie avec beaucoup d’humour et sens de la caricature en L’Homme au costume (fig.28) au corps bien rondouillard. Par la peinture en réserve aux oxydes les pieds du vase représentent les pieds de l’homme, le corps du vase celui de l’homme, le haut du vase, la tête, et les anses les bras levées orientés vers la tête. Picasso a utilisé cette forme de vase également pour les transformer en visage et même en « éléphant aux poissons » ou plutôt en poisson dans son aquarium[1], mais « l’Homme au costume » est certainement l’adéquation la mieux réussie entre décor peint et la forme plastique de ce type de récipient.

La représentation d’un corps par un récipient, donc d’une masse corporelle figurée par un objet creux, est le trait commun de toutes les réalisations céramiques au volume envisagées par Picasso dans les dessins préparatoires aux céramiques. De plus, en dépit de leur qualité sculpturale évidente, ces céramiques sont pour la plupart du temps assemblées à partir de pièces tournées sur le tour du potier et sont des véritables vases ou bien des sculptures dominées par une esthétique dérivée du vase.

L’existence des dessins préparatoires datés par Picasso lui-même anticipent une partie de la production céramique et prouvent ainsi qu’elle n’était pas le fruit d’un heureux hasard mais une activité préméditée qui découle directement des recherches et préoccupations artistiques antérieures de Picasso. (fig.29)

Il est important que l’analyse de la véritable valeur de la production céramique de Picasso soit envisagée par les historiens de l’art et que la recherche dispose de moyens adéquats et complets pour effectuer ce travail de longue haleine, nécessaire en raison de la production foisonnante de Picasso dans ce domaine , et de la complexité des sujets, des concepts et des techniques abordés par l’artiste pour qui l’art est un véritable moyen de connaissance.

Ne l’avait-il pas lui-même énoncé un jour à son ami et photographe Brassai : « Pourquoi croyez-vous que je date tout ce que je fais? C’est qu’il ne suffit pas de connaître les œuvres d’un artiste. Il faut aussi savoir quand il les faisait, pourquoi, comment, dans quelles circonstances. Sans doute existera-t-il un jour une science, que l’on appelera peut-être ’la science de l’homme‘, qui cherchera à pénétrer plus avant l’homme à travers l’homme créateur [..] Je pense souvent à cette science, et je tiens à laisser à la postérité une documentation aussi complète que possible [...]. Voilà pourquoi je date tout ce que je fais. »[2] (fig.30)

 

[1] Catalogue d’exposition Picasso et la Méditerranée, op. cit., cat. 108-109.

[2] Pablo Picasso à Brassaï cité d’après Marie-Laure Bernadac et Androula Michael Picasso. Propos sur l’art, Paris, Éditions Gallimard, 1998, p. 105

Fig.27 Picasso : Étude de céramique, pichet à tête de femme, 26 août 1951.
Fig.27 Picasso : Étude de céramique, pichet à tête de femme, 26 août 1951.
Crayon coloré et encre de Chine sur papier.
Collection particulière.
© Succession Picasso 2020.
Fig.22 Picasso : Le Cavalier, 1950.
Fig.22 Picasso : Le Cavalier, 1950.
Pichet à vin en terre cuite blanche tournée, peint à l'engobe noir, vert et marron et gravé sur fond blanc émaillé, sous couverte.
Collection particulière.
Credit photo : Maurice Aeschimann
© Succession Picasso 2020.
Fig.28 Picasso : L'Homme au costume, 1953.
Fig.28 Picasso : L'Homme au costume, 1953.
Grand vase en terre cuite blanche, peinte en réserve aux oxydes bleu, vert et jaune sous couverte partielle.
Collection particulière.
Credit photo : Maurice Aeschimann
© Succession Picasso 2020.
Fig.29 Picasso dans l’atelier de Madoura, 1951.
Fig.29 Picasso dans l’atelier de Madoura, 1951.
Photographie d’Edward Quinn.
© Edward Quinn, edwardquinn.com
© Succession Picasso 2020.
Fig.30 Picasso dans l’atelier de Madoura avec Jules Agard, 1953.
Fig.30 Picasso dans l’atelier de Madoura avec Jules Agard, 1953.
Photographie d’André Villers
© ADAGP, 2020/ ADAGP Images.
© Succession Picasso 2020.