Guernica, étendard des peintres engagés, <br>Et lorsque engagement et anticolonialisme vont de pair

L’art engagé prend trois visages dans le monde arabe à partir des années 1930 : le socialisme, l’anticolonialisme et le nationalisme panarabe. L’artiste est vu comme un bâtisseur de progrès. En Égypte, dès 1938, le Guernica de Picasso est placé, un an après son achèvement, en tête du manifeste des surréalistes égyptiens Vive l’art dégénéré. 1938 est également l’année durant laquelle pour la première fois un pays arabe, le royaume d’Égypte, participe à une manifestation artistique mondiale de référence, la XXe Biennale de Venise. Comme un fil rouge dans son engagement d’artiste, l’Égyptien Samir Rafi a peint de nombreuses scènes témoignant de la révolte contre la guerre et la tyrannie. Encore étudiant et adolescent, il avait partagé avec ses aînés surréalistes égyptiens le rejet des régimes autoritaires, exposant avec eux. Installé un temps à Paris, il rejoint aussitôt l’Algérie et le combat du FLN. Revenu en France tout en maintenant des liens forts avec l’Égypte, il va peindre son désespoir face aux guerres israélo-arabes.

Le Caïn & Abel du Syrien Mahmoud Hammad, qui dialogue avec le cubisme cézannien de Picasso, est daté de 1958, année de la fusion de la Syrie et de l’Égypte en une République arabe unie, moment iconique du panarabisme socialiste dont Hammad a été un ardent défenseur. De même, Adham Ismail, dans un élan vitaliste, a été le promoteur d’un panarabisme unitaire tant sur le terrain artistique de la modernité arabe que sur le terrain politique. Sa Jeune Mendiante et la belle robe représentent une exigence de justice sociale, récurrente dans son œuvre. En Syrie, le manifeste du Mouvement des arts plastiques, signé en 1962 par Fateh al-Moudarres, non exempt d’un fort nationalisme, stipule que l’art ne peut qu’être engagé et réaffirme la responsabilité sociale de l’artiste : l’artiste arabe doit incarner l’esprit arabe de manière à enrichir l’humanité de sa singularité. À noter au passage que ce manifeste cite un seul artiste, Cézanne : « Nous rejoignons Cézanne dans le rejet des idées littéraires. » Fateh al-Moudarres a par ailleurs rédigé en arabe un article de dix pages dédié spécifiquement à Picasso et intitulé « Comment comprenons-nous Picasso ? ».

Picasso, Guernica, 1937.
Picasso, Guernica, 1937.
Musée Reina Sofia, Madrid.
Adham Ismail, La jeune mendiante et la belle robe, 1960.
Adham Ismail,
La jeune mendiante et la belle robe, 1960.
Courtesy of Saleh Barakat Gallery.