L’art comme arme pour dénoncer la violence

Le peintre syrien Alwani Khozaima, que l’exposition de l'Institut du Monde Arabe – Tourcoing, fait découvrir et qui n’a jamais été exposé en France, réalise un triptyque, dans lequel il dénonce les massacres perpétrés par le régime baasiste syrien en février 1982 pour éradiquer dans le sang l’opposition des Frères musulmans à Hama. Après vingt-sept jours de siège, l’armée s’était livrée à des massacres de civils. Khozaima a livré plusieurs versions de ce sujet en usant et faisant sienne une grammaire de formes et de personnages issue de Guernica : le minotaure, le cheval à la langue pointue. Dans un livre publié en 2003 dont le titre Horses and Nights, évoque le poète abbasside Almutanabbi (Xe siècle), Khozaima regroupe les variations sur ce triptyque et expose trois idées-forces dans les rares notes qu’il rédige : la nécessité de se détourner du capitalisme, la conviction que l’islam porte haut les valeurs non pécuniaires, et que la Palestine et Jérusalem sont dans le cœur de la nation arabe.

Le peintre Nabil Kanso, né au Liban, émigré à New York et qui a été défendu par Alfred Barr (1902-1981), a peint sans relâche les souffrances infligées par la guerre du Liban comme celle du Vietnam en se réclamant de l’attitude morale de Guernica. Travailleur acharné et prolifique, Aref Rayess a sillonné les continents asiatique, africain, européen et américain favorisant autant de rencontres nourrissant son art humaniste. Les conflits israélo-arabes nourrissent une peinture engagée contre l’absurdité de la guerre. Invité en 1975 en Algérie, il produit un portfolio intitulé The Road to Peace dont les gravures fusionnent les événements de la guerre civile libanaise et de la guerre d’Algérie en une vision tragique qui confronte la foule grégaire des humains à la menace aveugle d’animaux monstrueux.

Paul Guiragossian, dans l’une des rares interviews disponibles sur TV Liban, explique que Picasso a été pour lui une figure emblématique et tutélaire. L’histoire familiale de Guiragossian a traversé trois terres marquées par les atrocités et les conflits : l’Arménie, la Palestine puis le Liban. Il a dénoncé dans sa peinture les massacres de Deir ez-Zor perpétrés en Syrie contre les Arméniens ayant survécu au génocide de 1915-1916. Marquer l’horreur des tueries contre les civils est un leitmotiv dans son œuvre. L’exposition révèle deux toiles inédites campant à chaque fois un homme-machine tueur face à l’innocence symbolisée par une figure féminine. Les artistes irakiens s’inscrivent dans le creuset militant panarabe. Mahmoud Sabri a peint en 1958 l’une de ses œuvres les plus poignantes en dénonciation de la guerre d’Algérie : Les Massacres d’Alger. L’œuvre ayant disparu lors de l’invasion américaine de 2003 et du saccage du musée d’Art moderne de Bagdad, on ne conserve qu’une photographie de Sabri dans son atelier, venant d’achever l’œuvre.

 

De même, le pacifisme de l’Irakien Dia Al-Azzawi est représenté par deux séries d’estampes rendant compte de massacres perpétrés contre des civils palestiniens au Liban. Sa grande œuvre aujourd’hui conservée à la Tate Modern de Londres, Les Massacres de Sabra et Chatila est inspirée du récit de Jean Genet Quatre heures à Chatila réagit aux massacres perpétrés contre des civils palestiniens au sud de Beyrouth en 1982. Par ses dimensions – 7,5 x 3 mètres – et sa grammaire formelle, elle s’inscrit volontairement dans le sillage de Guernica.

Alwani Khozayma, Sans titre, 1991-1992.
Alwani Khozayma, Sans titre, 1991-1992.
Courtesy of Saleh Barakat Gallery.
Paul Guiragossian, L’Homme machine II, 1981.  Coll. Paul Guiragossian Estate, Liban.
Paul Guiragossian, L’Homme machine II, 1981.
Coll. Paul Guiragossian Estate, Liban.
Samir Rafi  Femme au Loup, 1973.  Courtesy of Saleh Barakat Gallery.
Samir Rafi, Femme au Loup, 1973.
Courtesy of Saleh Barakat Gallery.