Jusqu’en juillet 1914, la compagnie poursuit son itinérance en Amérique du Sud et en Europe et Olga Khokhlova multiplie les rôles, figurant, en plus des ballets précédemment cités, dans Le Dieu bleu, Carnaval, Daphnis et Chloé, et dans les premières de Khovanstchina, Les Papillons, Le Coq d’or, Le Rossignol, La Légende de Joseph, Midas, Le Prince Igor et Nuit de mai. Rentrée en Russie pendant l’été 1914, la danseuse repart en novembre 1915 rejoindre la troupe réfugiée en Suisse. Ce dernier départ de Russie, décisif sur le plan personnel puisque la jeune femme fera bientôt la connaissance de Picasso, est aussi déterminant pour sa carrière : premier danseur et nouveau protégé de Diaghilev, Massine prépare ses premières chorégraphies ; conscient du talent artistique d’Olga, il lui confiera ses rôles les plus importants.
Dans un gala de charité donné au profit de la Croix Rouge au Grand Théâtre de Genève le 20 décembre 1915, Olga apparaît dans Soleil de nuit, création de Massine sur une partition de Rimski-Korsakov ; la collaboration du chorégraphe avec le chef de file du néo-primitivisme russe Michel Larionov pour la création du décor et des costumes donne naissance à une œuvre où « la vieille Russie apparaît à travers une vision populaire, flamboyante et comique, [et] où la note byzantine se marie étrangement aux danses frénétiques d’ouvriers russes »18. Après une représentation parisienne le 29 décembre, la compagnie embarque le 1er janvier 1916 à bord du navire transatlantique Le Lafayette pour une tournée en Amérique du Nord, visitant seize villes en moins de quatre mois19. Très présente sur scène, Olga Khokhlova prépare à son retour en Europe son premier rôle important dans Les Ménines, nouvelle création de Massine et premier ballet espagnol de la compagnie, sur une musique de Gabriel Fauré. La première est donnée le 21 août au Théâtre Victoria Eugenia de Saint-Sébastien. En Demoiselles d’honneur, parées d’imposantes robes à crinoline dessinées par José-María Sert, Olga et Lydia Sokolova dansent la pavane avec Léon Woizikowski et Massine ; les deux danseuses sont saluées par le Roi d’Espagne lors de la représentation officielle de la compagnie, le 28 août à Bilbao20. En septembre, la troupe se divise en deux groupes : le premier repart aux États-Unis pour une nouvelle tournée de représentations avec Nijinski et le second, constitué d’une quinzaine de danseurs parmi lesquels Olga, se rend en Italie avec Diaghilev et Massine. Ce dernier confie à Olga le rôle de Félicita dans sa future création, Les Femmes de bonne humeur. Tiré d’un argument de Carlo Goldoni, le ballet évoque l’atmosphère vénitienne des Fêtes de Watteau et les scènes de genre de Hogarth et de Longhi. Au sein d’un imbroglio comique, les sept danseurs effectuent un solo et un jeu de mime sur la musique de Domenico Scarlatti. Bakst, qui signe le décor et les costumes, souligne la « note burlesque », la « prodigieuse variété » et « l’entrain endiablé » de la chorégraphie21. La première, au Teatro Costanzi de Rome le 12 avril 1917, est très bien accueillie par le public italien22.
18 Léon Bakst, « Chorégraphie et Décors des Nouveaux Ballets Russes », programme Les Ballets Russes à Paris, Paris, Théâtre du Châtelet, mai 1917, n. p.
19 La troupe se produit notamment à New York, Boston, Chicago, Washington et Philadelphie. Pendant cette tournée, Olga ajoute Le Pavillon d’Armide et La Princesse enchantée à son répertoire.
20 Sokolova, Dancing for Diaghilev…, op. cit., p. 84. Lire également Yolanda F. Acker, « Los Ballets Russes en España : recepción y guía de sus primeras actuaciones (1916-1918) », Los Ballets Russes de Diaghilev y España, Grenade, Centre Culturel Manuel de Falla, 1989, p. 229-252 [235-236].
21 Bakst, « Chorégraphie et Décors des Nouveaux Ballets Russes », art. cit.
22 Lire Léonide Massine, My Life in Ballet, Londres, Macmillan, 1968, p. 95-98.