Réconcilié avec Picasso, leur amitié de jeunesse prendra la forme avec les années d’une touchante complicité, voire d’une complicité familiale. En effet, Lucie Godon, l’épouse de Kahnweiler, était également la sœur de Bero (Berthe) Godon, qui, elle, épousa l’artiste Elie Lascaux. Ils s’étaient rencontrés lors d’un « dimanche de Boulogne », sorte de salon amical et mondain organisé par Daniel-Henri Kahnweiler chez lui, à Boulogne, entre 1921 et 1927 et animé par Juan Gris qui cessa à la mort de ce dernier. Elie Lascaux y participait en tant qu’artiste de la galerie. Elie Lascaux et Bero eurent une fille, Germaine, qui devait plus tard se marier avec Xavier Vilato, l’un des neveux de Picasso, lui-même peintre.
Considéré comme le découvreur du cubisme, Kahnweiler court le monde, d’invitations en conférences tandis que Louise Leiris tient la boutique qui porte son nom depuis la Seconde Guerre mondiale. Elle avait épousé Michel Leiris en 1926, elle qui était en fait la fille cachée de Lucie Kahnweiler (et qui passa longtemps pour sa jeune sœur). Michel Leiris se trouva ainsi lui-aussi lié à Picasso. Sa présence comme son érudition apportèrent un souffle nouveau aux relations entre Picasso et Kahnweiler. En 1957, la galerie de Louise Leiris s’installe rue de Monceau. Un local aménagé par Charlotte Perriand dans lequel Picasso présente des œuvres récentes, peintes en 1955 et 1956. Cette exposition dans ce lieu symbolise la solidité des liens qui unissent tous les protagonistes. Louise Leiris présentera ensuite une douzaine d’expositions de Picasso, à raison d’une (voire deux) par an.
Kahnweiler est devenu le seul marchand de Picasso.
Leur relation a été maintes fois évoquée, tant elle était unique et hors normes. « Vous venez pour me charmer ou pour m’emmerder ? » Voici comment Picasso accueille son marchand au téléphone, lorsqu’il lui annonce sa visite pour le lendemain ![1] Ils sont si différents ! Le marchand est fasciné, droit. Pour lui, tout l’art de Picasso n’est que confession. Le peintre est en perpétuelle recherche, foisonnant, dominateur. Pourtant leur « couple » durera soixante-cinq ans. Avec des hauts et des bas, bien sûr, mais ils ne sont jamais quittés et reconnaîtront tous deux la sincère et indestructible amitié qui les lie. « Le plus extraordinaire est encore que leur relation ait pu perdurer alors que l’un (Kahnweiler) est resté figé dans ses principes, fidèle à sa ligne de conduite jusque dans les moindres de ses contradictions, alors que l’autre (Picasso) n’a cessé d’évoluer et de changer, superposant de nouvelles contradictions aux plus anciennes. »[2]
Picasso mourra six ans avant son ami et marchand, son fidèle compagnon de route, disparu en 1979.