Marie avait déjà rendu visite à Picasso dans l’atelier des Grands Augustins, après ses premiers achats d’œuvres de l’artiste. Une amitié sincère s’est établie entre eux, qui va durer jusqu’à la disparition du peintre. Picasso, dont elle aime « la sobre intelligence, l’acuité, l’humour un peu secret et la générosité », apprécie également beaucoup Henri Laugier, qu’il compte aussi parmi ses collectionneurs. Il s’intéresse à son projet, regarde attentivement les résultats qu’elle a obtenus avec les œuvres de Georges Rouault et lui confie d’abord Verre et pipe, peint en 1917, puis Pipe, peint en 1918. Une quinzaine suivront, au fil des ans : Minotaure, carton dessiné en 1928 et tissé en 1935, Confidences, peint en 1934 (dont un exemplaire sera acheté par le docteur Barnes et un autre par Helena Rubinstein), La Fermière, en 1958, d’après Les Deux Nus au miroir, un tableau de 1955… Au début de leur collaboration, Picasso lui confie des tableaux. Mais, au fur et à mesure que la production se précise, il crée spécialement pour elle des cartons de tapisserie, réalisés ensuite en ateliers. Ce sont principalement des collages. Femmes à leur toilette, ensemble de collages sur toile complété à l’huile créé pour Marie en 1938, est certainement le plus grand des papiers collés de Picasso. Il est aujourd’hui conservé au musée Picasso de Paris. Picasso a semblé prendre un réel plaisir à la préparation de ces cartons, lui permettant ainsi de renouer avec les techniques expérimentées, notamment avec Braque, dans les années 1910. Son singulier talent de bricoleur, s’autorisant toutes variations nouvelles, lui permet de reprendre sporadiquement certaines problématiques comme les petits assemblages qui furent l’essence même de ses premiers papiers collés.
Ainsi, au fil du temps, même s’ils sont exigeants et pointilleux, les artistes se laissent séduire par la précision et la qualité du travail de production. La personnalité à la fois dynamique et discrète de cette femme déterminée fera le reste.
Braque et Matisse participeront à l’expérience. Elle écrit à ce dernier, le 20 novembre 1935 : « J’ai reçu hier le magnifique projet de tapisserie qui m’a donné une joie qu’il m’est difficile d’exprimer – si beau, si intense de lumière et de parfums ! » (Dominique Paulvé, op.cit.) Puis s’associeront au projet Fernand Léger, qu’Henri Laugier collectionne également, Raoul Dufy, l’un des artistes favoris de Marie, Lucien Coutaud, qu’elle rencontre par l’intermédiaire de Rose Adler…