Un intérêt de Picasso pour le bergsonisme ? l’influence de Max Jacob.

Les premiers chapitres de notre thèse sont consacrés à l'historique de la question. Les chapitres suivants abordent l’étude de la démarche artistique de Picasso pendant la période du cubisme analytique, ainsi que l’analyse de certaines œuvres dont la sélection vise à témoigner du caractère plausible de nos hypothèses : l’intérêt de Picasso pour le bergsonisme. Ce corpus d’œuvres, offre, à nos yeux, par ses repères formels et ses déterminants stylistiques, le cadre herméneutique à l'intérieur duquel des concepts bergsoniens prennent sens. Elles sont, si l’on peut dire, des constructions spontanées qui cherchent à répondre de la vie et de la conscience. Picasso n’a qu’un seul recours : l’intuition.

C’est surtout par le biais de Max Jacob et de l'interprétation qu'il en donne que ce concept arrive dans l’art de Picasso. Ce terme occupe une place à part dans le vocabulaire du poète : il remplace chez lui la notion d’inspiration artistique. Max encourage Picasso et ses jeunes amis artistes, à développer leur propre vie intérieure. Pour lui, la vie intérieure est une méthode. Une méthode qui, au lieu de définir les choses, permet de les vivre[1].

Considérée comme l’analogue de la vie intérieure, cette méthode est tellement importante à ses yeux, qu’il se propose de lui bâtir une école. Mais pas n'importe laquelle : une école d’art ! : « J’ouvrirai une école de vie intérieure et j’écrirai sur la porte : école d’art », dit-il dans ses conseils aux jeunes poètes[2].

3-  portrait de Max Jacob par Picasso  1904

Non seulement Max est le premier ami français de Picasso, l’artiste à qui il fera bénéficier, en toute libéralité, de l’étendue de sa culture. Et qui plus est, ils vivront durant vingt ans l'un à côté de l'autre, une amitié plus solide qu'on veut bien le dire, et qui ne les privera pas de toutes les «batailles», des grandes heures d'un art nouveau dont ils se veulent les chefs de file à commencer par le cubisme. Picasso pour Max, c'est le génie : celui qui a le courage de tout remettre en question quand il a exploré suffisamment une voie. Fasciné par la culture philosophique et littéraire de Max, par ses recherches obstinées et sa boulimie de lectures, Picasso avait aussi en commun la passion pour la poésie symboliste qui tire son inspiration de la philosophie bergsonienne. Jean Cocteau évoque les jeunes, Picasso, Max Jacob, Apollinaire, parcourant Montmartre, et criant ‘Vive Rimbaud’. A bas Laforgue[3]!’

C’est grâce au métaphysicien Louis Dugas, qui était son professeur de philosophie, que Max Jacob a eu connaissance des premiers écrits de Bergson. Dans son ouvrage biographique La Défense de Tartufe, le poète se rappelle de l’engouement avec lequel il copiait les théories de Bergson sur un cahier rose en écoutant les chants bretons des ouvriers brodeurs de son père[4]. Selon Max Jacob, les trois personnalités les plus marquantes de l’époque seraient : Freud, qui ouvre avec sa découverte des clefs de la sexualité les mystères de l’Inconscient, Bergson, avec les premières Irradiations de la Matière et Gustave le Bon[5].


[1] Max Jacob cité in Pierre Andreu, Max Jacob. Conversions célèbres, Wesmael-Chariler, Paris, 1961, p. 103.

[2] Max Jacob, Conseils à un jeune poète. Conseils à un étudiant, Gallimard, Paris, 1980, p. 29.

[3] Jean Cocteau, La difficulté d’être, Paris, Paul Morihein, 1947, pp. 174-175.

[4] Max Jacob, La Défense de Tartufe : Extases, remords, visions, prières, poèmes et méditations d’un Juif converti (1919), nouvelle édition, Paris, Gallimard, 1964, pp. 290-291.

[5] Max Jacob, Chroniques des temps héroïques (1936), Paris, Louis Broder, 1956.

Portrait de Max Jacob par Picasso,  1904, reproduit dans "Le cornet à Dés"