Un an plus tard, Dudensing organisa la dernière rétrospective Picasso de la galerie : vingt-et-un tableaux datant de 1908 à 1934, dont neuf provenaient de collections privées new-yorkaises. Les œuvres marquantes incluaient des œuvres cubistes provenant des collections de George L. K. Morris : Le Poète, 1911 (Z.IIa, 285) et de Walter P. Chrysler, Jr. : L’Indépendant, 1911 (Z.IIa,264). Mary Hoyt Wiborg prêta sa nature morte, Grande nature morte, 1922 (Z.V,228) et Stephen Clark prêta anonymement La Statuaire, 1925 (Z.V,451). Après avoir remarqué que l’exposition ne contenait pas d'exemples des périodes Bleu et Rose qu'il considérait comme les meilleures de l’artiste, le critique Howard Devree conclut avec dédain qu'il n'y avait rien qui puisse ajouter à « la connaissance moyenne d’un visiteur de la galerie sur le travail de l’artiste ».[i]
La dernière exposition Picasso à la Valentine Gallery, certainement le point culminant de la carrière de Dudensing, fut la présentation de Guernica (Z.IX,65) en mai 1939, au début de sa tournée américaine. Le nouveau bâtiment du Museum of Modern Art, situé sur West 53rd Street, avait ouvert ses portes en grande pompe le même mois et beaucoup ont supposé que le chef-d'œuvre serait exposé là. L’objectif de la visite étant de recueillir des fonds pour les réfugiés fuyant la guerre civile en Espagne, Picasso refusa expressément que le tableau soit exposé au musée. La tournée de Guernica a été organisée conjointement avec l’American Artists' Congress, présidé par Sidney Janis. Janis a choisi la Valentine Gallery comme lieu de présentation du tableau à New York, non seulement parce que la salle principale de la galerie pouvait accueillir les dimensions du tableau (3,49 x 7,77 m), mais aussi en reconnaissance de la relation et de l’histoire de Dudensing avec l’artiste et son œuvre.[ii] Le gala d'ouverture du 4 mai 1939 réunit près d'une centaine d'invités, dont l’ancien Premier ministre de la République espagnole, Juan Negrín, la Première dame Eleanor Roosevelt, le Secrétaire de l’Intérieur, Harold Ickes, et l’élite de la société new-yorkaise, entre autres : Stephen C. Clark, Simon Guggenheim, W. Averell Harriman, Georgia O’Keeffe et William S. Paley.[iii]
Un certain nombre d'artistes figuraient parmi les deux mille visiteurs qui ont payé l’entrée de cinquante cents pour voir Guernica pendant les presque quatre semaines que dura son exposition à New York. Quelques-uns ont raconté leurs premières impressions sur la peinture monumentale. Elaine et Willem de Kooning sont venus ensemble et Elaine se souvient : « Nous avons été stupéfaits, vraiment bouleversés par Guernica. Parlez de passion. Elle jaillissait de cet énorme tableau. Bill et moi nous sommes tenus devant elle, émerveillés, émerveillés et terrorisés. Nous ne nous sommes pas parlés pendant un long moment. »[iv] Profondément touché par le tableau, Jackson Pollock visita la galerie à plusieurs reprises, analysant les composantes de l’œuvre à travers une série de croquis.[v] Lee Krasner, sa femme, a décrit l’impact que le tableau a eu sur elle :
Picasso était alors l’un de mes héros en peinture. Mais je me souviens d’avoir ouvert la porte de la galerie Dudensing-Valentine, d'être entrée, et cette « chose » était juste là à l’entrée. Je me suis retournée, je suis sortie, j'ai fait le tour du pâté de maisons trois fois avant d'oser y entrer et de vraiment regarder. C'est l’effet que ça a eu sur moi.[vi]
[i] “A Reviewer’s Notebook”, New York Times (13 novembre 1938), 10X.
[ii] Herschel B. Chipp, Picasso’s Guernica : History, Transformations, Meanings (Berkeley : University of California Press, 1988), 161.
[iii] Ibid, 82.
[iv] Lee Hall, Elaine and Bill, Portrait of a Marriage : The Lives of Willem and Elaine de Kooning (New York : Harper Collins, 1993), 163; réimprimé dans Mark Stevens et Annalynn Swan, De Kooning : An American Saga (New York : Alfred A. Knopf), 164.
[v] Steven Naifeh and Gregory White Smith, Jackson Pollock : An American Saga (New York : Clarkson N. Potter, 1989), 349.
[vi] Ellen G. Landau, Lee Krasner : A Catalogue Raisonné (New York : Abrams, 1995), 55.