En 1936, le marché new-yorkais de l’art moderne européen montra des signes de reprise forts et en juin, Dudensing rapporta à Picasso qu'il avait vendu vingt-huit de ses toiles depuis le début de l’année.[i] Fin octobre, la rétrospective Picasso : 1901-1934, a ouvert dans le nouvel espace élégant de la Valentine Gallery au 16 East 57th Street et était composée de trente-huit tableaux.
Si près d'un tiers des œuvres dataient de l’époque cubiste, dont l’extraordinaire Femme au Corsage Jaune de 1907 (Z.IIa,43), ce sont les peintures récentes de Picasso qui ont causé la plus grande sensation.[ii] Dudensing avait passé l’été en France avec l’artiste et était retourné à New York avec plusieurs œuvres du début des années 1930, et il en accrocha cinq dans la première salle de la galerie.[iii] Écrivant sur ces grandes toiles colorées, un ensemble qui incluait Nature morte aux tulipes, 1932 (Z.VII, 376) ; Femme écrivant, 1934 (Z.VIII, 246) ; et Femme assise, 1934 (Z.VIII, 241) le critique d'art Henry McBride a prévenu ses lecteurs qu’ils allaient avoir le « choc de leur vie ». [iv] Edward Alden Jewell ajouta ses réflexions sur les œuvres récentes : « [elles sont] grotesques dans leur conception.... avec leur impasto lourd, leur nez romain gigantesque et parfois leur double visage, [elles] font trembler l’air. »[v]
Le chef-d'œuvre de 1932, Jeune fille devant un miroir (Z.VII,379), fut l’un des moments forts de l’exposition à la Valentine. Art News publia une reproduction en pleine page du tableau en l’identifiant comme un exemple de « l’accomplissement de Picasso », le terme de Dudensing pour la production de l’artiste de 1923-1934.[vi] Deux ans plus tard, Mme Olga Guggenheim, belle-sœur de Solomon R. Guggenheim, se présenta au bureau d'Alfred H. Barr, Jr., directeur du Museum of Modern Art, pour l’informer qu'elle voulait acheter pour le musée « une peinture moderne importante [qui allait] devenir un chef-d'œuvre », avec la condition qu'elle vienne de la galerie Valentine.[vii] Sans aucune hésitation, Barr choisit Jeune fille devant un miroir, qui demeure l’un des points forts de la collection du musée.
Une semaine après l’ouverture de l’exposition Picasso : 1901-1934, le New York Times publia un article annonçant une « invasion par Picasso & Cie ».[viii] Jewell déplorait que New York n'ait pas encore eu de grande rétrospective de Picasso, mais admettait qu'il était heureux d'avoir pu voir des expositions régulières, plus petites, de l’œuvre de l’artiste, notamment la mini-rétrospective actuellement à la Valentine Gallery. L’ « invasion » fait référence à une deuxième exposition qui a débuté le 2 novembre à la Galerie Jacques Seligmann. Cette exposition présentait trente-quatre œuvres des périodes Bleue et Rose de Picasso. Parallèlement, la Gallery of Living Art exposait son chef-d'œuvre récemment acquis, Trois musiciens, 1921 (Z.IV,332). Après trois ans d'interruption, le monde de l’art new-yorkais était impatient de voir l’œuvre de Picasso ; Dudensing rapporta que 6 000 visiteurs étaient venus à la galerie durant les deux premières semaines de son exposition.[ix]
[i] Lettre de Valentine Dudensing à Picasso, 9 juin 1936, Archives Musée Picasso, Paris.
[ii] Corsage Jaune provient de la collection Guillaume comme beaucoup d'autres tableaux cubistes de cette exposition. Rudenstine, op cit, p. 599, fn 1.
[iii] “Picasso Retrospective Opens New Valentine Galleries in New York,” Art Digest (1er novembre 1936), 8.
[iv] “Picasso’s Latest Pictures,” New York Sun (31 octobre 1936), 18.
[v] “Dudensing Takes New Art Quarters,” New York Times (27 octobre 1936), 28L.
[vi] Le catalogue de cette exposition n'était qu'un dépliant avec une liste. Plusieurs critiques parlent des œuvres de 1923-1934 comme « l’accomplissement de Picasso », il semble que Dudensing ait utilisé ce terme dans un communiqué de presse.
[vii] Russell Lynes, Good Old Modern : An Intimate Portrait of the Museum of Modern Art (New York : Atheneum, 1973), 302.
[viii] Edward Alden Jewell, “In the Realm of Art,” (1er novembre 1936), 9X.
[ix] “6,000 See Picasso Exhibition,” New York Times (11 novembre 1936), 32. Ce court article mentionne également que six œuvres avaient déjà été vendues et remplacées par d'autres œuvres dans l’exposition.