Pendant la guerre, un exil new yorkais avant un retour pour Antibes

Jeanne Bucher vit dans la galerie, dont la première exposition est consacrée à la collection d’Henri Laugier. Elle présente des œuvres de Georges Braque, Raoul Dufy, Fernand Léger, Jean Lurçat, Louis Marcoussis, Joan Mirò, Picasso, Maurice Utrillo et bien d’autres… Durant trois ans, les expositions s’enchaînent. Les deux femmes se sépareront en 1941. Marie Cuttoli, durant cette période, entretient des relations amicales avec le docteur Barnes, qui la soutient. Grâce aux relations du célèbre collectionneur, elle réussit à exposer une large sélection de ses tapisseries aux États-Unis. À cette occasion, elle part s’installer à New York, fuyant Paris et la France en proie aux troubles de la guerre. Henri Laugier, à qui Jean Perrin avait confié en 1936 la direction du service de recherche de l’Éducation nationale, la rejoint. En effet, conscient de la nécessité de combler le retard de la France en matière de recherche, son action a abouti à la création du CNRS dont il devient le premier directeur. Mais révoqué par Vichy en juillet 1940, il est contraint de s’exiler aux États-Unis, puis au Canada. Il fera un travail exemplaire sur le plan scientifique mais aussi politique, militant pour la France libre du général de Gaulle. Cette parenthèse imposée leur permet aussi de mettre à l’abri leur collection de tapisseries, grâce aux diverses expositions dont elle fait l’objet, coordonnées par Grace McCann Morley, et une partie de leurs œuvres. En 1943, le général de Gaulle appelle Laugier à Alger, où il est nommé recteur d’université. En 1946, il devient secrétaire général adjoint de l’ONU, chargé des questions sociales, avant d’être l’un des auteurs de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, adoptée le 10 décembre 1948.

 

D’Alger, la guerre terminée, Marie Cuttoli regagne l’appartement de la rue de Babylone et collabore avec Jean Cassou à la préparation d’une exposition au musée d’Art moderne sur la tapisserie française. En 1946, c’est aussi l’occasion pour le couple de retourner dans leur villa près d’Antibes, où Picasso les retrouve, accompagné de Françoise Gilot. C’est durant cet été-là que Picasso loue une petite maison, la villa « Pour toi » sur le port de Golfe-Juan, dans laquelle il ne peut travailler, faute de place. C’est ainsi que, selon Jaime Sabartès, confident et secrétaire de Picasso, Romuald Dor de la Souchère, le conservateur du musée, « un jour sur la plage, a l’idée de lui demander un petit dessin pour le musée. » Il lui propose d’utiliser une partie du château comme atelier et plus précisément la grande salle, dite salle des gardes de l’aile sud du second étage. Picasso, enthousiaste, décide alors de décorer le musée (« Je ne vais pas seulement peindre pour moi ici. Je vais décorer le premier étage. » in Françoise Gilot, Vivre avec Picasso, éditions Calman-Lévy, 1965). Il travaille au château de la mi-septembre jusqu’à la mi-novembre. Il laissera en dépôt à la ville d’Antibes vingt-trois peintures et quarante-quatre dessins. Marie transformera habilement ce dépôt en don. Elle est, avec Laugier, l’instigatrice de ce qui deviendra le musée Picasso d’Antibes.

Pablo Picasso : Le Minotaure Tapisserie des Gobelins laine et soie 142 x 237 Musée Picasso Antibes
Pablo Picasso : La fermière Tapisserie de laine en basse lice 213 x 178 Musée Picasso Antibes
Pablo Picasso : Le HomardTapisserie de laine en basse lice 114 x 140 Musée Picasso Antibes
Edward Quinn : Marie Cuttoli, Henri Laugier and Picasso. La Californie 1959photographie