Picasso / Marx

"À propos du livre de Sarah Wilson, Picasso/Marx And Socialist Realism In France, Liverpool University Press, 2013.
Sarah Wilson, professeure au Courtauld Institute of Art de Londres et spécialiste de l'après-guerre et de la guerre froide, livre un essai érudit et stimulant sur les relations de Picasso avec le communisme et plus généralement sur la question de l'art engagé chez Picasso et ses contemporains.
Sarah Wilson s'inscrit dans la lignée de l'essai de 1933 du critique allemand Max Raphael (1889-1952) Proudhon, Marx, Picasso, Trois études sur la sociologie de l'art, première tentative d'une analyse marxiste de l'artiste, à partir des conditions matérielles et idéologiques. L'essai est republié en annexe du livre de Sarah Wilson. 
L'auteure analyse ensuite les positions inconfortables de Picasso à l'égard de la « querelle du réalisme ». Celle-ci fut pilotée à la fin des années 1930 par l'Union soviétique, au moment où l'artiste produit une pièce au contenu un peu plus explicitement politique, bien qu'à première vue il s'agisse plutôt d'une étrange scène mythologique : le rideau de scène de 14 juillet, la pièce Romain Rolland (aujourd'hui conservée aux Abattoirs à Toulouse). Quelques mois plus tard, c'est la création de Guernica pour l'exposition de Paris en 1937. Sarah Wilson rappelle qu'immédiatement, Guernica a été lue comme une prise de position politique et qu'immédiatement, l'oeuvre a été contestée. Elle cite ainsi la prise de position d'Aragon, qui prend ses distances en excipant du caractère national de la peinture, plongeant ses racines dans le contexte espagnol. Le Charnier (1944-1945, MoMa, new York), sorte de post-scriptum à Guernica, a été interprété comme une réaction de l'artiste aux camps de la mort. Par ailleurs, Sarah Wilson montre qu'il est, par nombre de commentateurs communistes, comparé défavorablement aux oeuvres de Boris Taslitzky (1911-2005), Buchenwald (collection du centre Pompidou), peintes à partir des dessins de l'artiste déporté. Sarah Wilson évoque enfin la polémique autour du dessin À ta santé Staline, exposé en 1949 en même temps qu'une des oeuvres maitresses d'André Fougeron, Hommage à André Houillier. L'opposition flagrante entre le réalisme socialiste de cette oeuvre, revu pour le contexte français et l'irrévérence du ballon de rouge de Picasso ne pouvait que frapper les visiteurs. L'étape suivante fut celle de Massacre en Corée (1951, Musée Picasso, Paris), jugée trop loin du politique, visiblement plus portée vers Goya et Manet, alors même que le Salon voit se développer la dénonciation par nombre d'artistes des conflits en Indochine et en Algérie. Sarah Wilson rappelle également l'affaire du portrait de Staline, publié en première page des Lettres françaises du 8 mars 1953, et condamné par la presse officielle du Parti dans la foulée. En mai 1953, Picasso expose à Milan La Guerre et La Paix, conçu pour la chapelle de Vallauris. Cette relation, paradoxale, avec le communisme et ses préceptes, culmine avec l'exposition de Moscou en octobre 1956. Une consécration évidente mais contrecarrée par l'invasion de la Hongrie qui voit Picasso signer un manifeste mesuré adressé au Parti Communiste. L'attribution du Prix Lénine en 1961 -qui ne lui sera remis qu'en 1966 par Aragon- ne réhabilite guère Picasso aux yeux des Soviétiques. 
Les recherches exhaustives de ce livre éclairent le lecteur sur les relations ambivalentes de l'artiste avec le politique.

"A ta santé Stalone" , 1949 Musee Picasso Paris