Une sculpture de Picasso est installée dans l'enceinte du lycée Honoré Daumier, à Marseille, depuis 1965.

Celle-ci fut réalisée dans le cadre du « 1% », procédure spécifique de commande publique d'oeuvres d'art mise en place à partir de 1951 afin de favoriser l'accès à la culture à un large public, non familier des lieux dédiés à la création. Le « 1% » s'est progressivement ouvert à toutes les formes d'expression artistique. Artistes, architectes, élus, se sont mobilisé et associé afin de mettre en place des oeuvres accessibles à tous dans l'espace public.
En décembre 1963, le sculpteur norvégien Carl Nesjar (1920-2015), proche de Picasso qu'il fréquente depuis 1957, présente à Gaston Deferre (1910-1986), alors maire de Marseille, un projet de sculpture de 6 mètres de haut, d'après une série de petites sculptures pliées et découpées, réalisée par Picasso une dizaine d'années plus tôt. Pour lui, l'oeuvre devait « former dans le patio du lycée un élément plein de vie et parfaitement en harmonie avec l'architecture, le cadre et la lumière généreuse de Marseille. » Picasso accepta le projet et l'architecte René Egger (né en 1915), en charge de la construction du lycée Sud (devenu depuis le lycée Honoré Daumier), fut ravi de s'associer à l'artiste, une démarche qu'il avait volontiers dans les différents édifices signés de lui. C'est d'ailleurs Picasso qui lui conseilla de demander à Édouard Pignon de réaliser une oeuvre (Les Plongeurs) pour l'école d'architecture de Luminy construite par la suite. René Egger fut, aux lendemains de la Seconde guerre mondiale, associé de Fernand Pouillon, pour la reconstruction du Vieux-Port de Marseille. Il est aussi l'architecte emblématique du CHU de La Timone.

Gaston Deferre, tout comme lui, s'intéresse beaucoup à l'art et à sa diffusion. Ensemble, ils conviennent de déposer un dossier à la commission de création artistique du ministère des Affaires culturelles, qui entérina ce choix le 19 juin 1964.

René Egger se souvient des réunions avec Picasso à l'Hôtel de Ville de Marseille, de sa jovialité et de « sa façon de regarder dans la profondeur des gens à qui il s'adressait. »
L'architecte est heureux que Picasso aime ce lycée en projet. Il apprécie l'intuition de l'artiste et son contact facile. 

Picasso réalise une maquette à Mougins, fabriquée en tôle et peinte en blanc par l'artisan métallurgiste Tiola. La sculpture représente une tête de femme. Des profils de visage sont découpés des deux côtés. Dans le dossier de présentation, Carl Nesjar explique le principe de l'oeuvre : elle agit à la manière d'un cadran solaire. Selon la position de l'observateur, le visage prend la forme d'un masque et présente des expressions différentes. De même, l'ombre au sol varie selon l'heure de la journée, donnant ainsi différentes expressions au visage. Une sorte de « BAT » fut signée par Picasso, qui apposa sa signature, le 28 janvier 1965, sur la photo de la maquette finale. La sculpture sera réalisée en voile de béton soufflé au jet de sable, selon un nouveau procédé suédois nommé naturbetong. Carl Nesjar se chargea de sa fabrication, de coordonner les souhaits de l'artiste et ceux de l'architecte, ainsi que les contraintes liées à la construction. 

Le lycée qui accueille l'oeuvre fait partie d'un vaste ensemble de bâtiments scolaires, construits selon un principe identique, simple et fonctionnel, au sortir de la guerre. Une centaine d'école sont érigées sous la houlette de René Egger, afin de donner aux enfants les conditions nécessaires à une bonne scolarité et dans les meilleurs délais, après les bombardements de la ville.

La sculpture orne toujours l'établissement.

Cette notice a été écrite grâce aux indications de René Egger, qui nous a par ailleurs autorisés à consulter ses archives, déposées aux Archives départementales de Bouches-du-Rhône. Merci à Madame Egger, qui a facilité cette rencontre. Merci également à Céline Rigouleau, attachée du Patrimoine aux Archives départementales, qui a fait les recherches nécessaires dans ses dossiers

photos DR