Gertrude Stein et le pragmatisme de William James

À l’époque du cubisme, la proximité de Picasso avec Max Jacob avait déterminé, pour lui, un espace commun de réflexion. De même, la grande amitié qui le liera à Gertrude Stein, permettra à l’œuvre picassienne de se nourrir de ses idées et de nourrir à son tour ses écrits. En faisant parler sa compagne Alice Toklas à la première personne, Gertrude Stein ne cache pas sa grande ambition : devenir un jour le « Picasso de la littérature ». Elle évoque dans ses mémoires publiées en 1933 sous le titre provocateur de The Autobiography of Alice B. Toklas, les recherches menées en parallèle avec son ami peintre. Les nombreuses séances requises pour la réalisation de son portrait (1905-1906), sont autant d'occasions pour « parler sans fin »[1]. En parlant des peintures qu’elle réalisa sur le support de deux petites chaises basses, « genou contre genou », Gertrude Stein faisait part à Picasso de ses techniques littéraires, et ce dernier n’hésitait pas à lui demander : « expliquez-moi ça »[2]. Aboutissement d'une longue formation, ces techniques d'écriture tirent leur sève nourricière des cours de William James. Il est donc important, dans ce contexte, de tenir compte de leurs implications dans l’art de Picasso.

 

 

Illustration 9  et  10  Portraits de Gertrude Stein

 

Dès 1905, l’assimilation du bergsonisme au pragmatisme de William James devient un phénomène de notoriété publique. Souvent considéré comme compatible avec les écrits littéraires issus du Symbolisme et du Futurisme, ce mélange de deux formes de pensées est aussi apprécié comme liminaire de l’écriture de celle qui fut nommée « Mother of Modernism » : Gertrude Stein. Le concept de «stream of consciousness», ou la notion bergsonienne de durée qui en découle, furent au cœur de sa création littéraire au point qu’on peut les considérer, a fortiori, comme des parties intégrantes de l’acte de création artistique.

 

Avant son arrivée à Paris, Gertrude Stein suit, avec passion, les cours de William James à Radcliffe College. Elle étudie avec lui l’écriture automatique qui suscite chez elle, l'envie d'apprendre et d'approfondir ses connaissances de neuro-anatomie dans un laboratoire de l’Hôpital John Hopkins. Fasciné par la pensée profondément originale et les observations intelligentes de son étudiante – qui cherchait à contester les thèses de la physique sociale et le déterminisme de son époque - William James la recommande à son ancien étudiant, Hugo Münsterberg, et encourage celui-ci à la faire participer à ses séminaires dans le cadre des recherches de laboratoires qu’il dirige à Harvard.

 

[1]Gertrude Stein, Interview transatlantique”, interview avec Robert Bartlett Hass, publié en 1971 dans A Primer for the Gradual Understanding of Gertrude Stein, Black Sparrow Press, Los Angeles; tr. fr. Transéditions, Paris 1946, 2a éd. fr. 1987.

[2] Gertrude Stein, Autobiographie d’Alice Toklas, cit., p. 85.

Picasso, Gertrude Stein, 1906