Nouvel éclairage sur l’expérience du peintre dans les montagnes de Gósol

Je souhaite apporter avec cet article un nouvel éclairage sur le dessin de Picasso intitulé Paysannes d’Andorre, en l’étudiant sous une perspective différente, comme une synthèse entre le bagage avec lequel Picasso est arrivé à Gósol en mai 1906 et les expériences vécues par l’artiste dans ces montagnes.

Fig n ° 1

Picasso, qui s’intéressait à l’exploration du monde primitif réalisée par Gauguin1, s’est rendu dans ce village des Pré-Pyrénées qui conservait des mœurs et des traditions d’origine archaïque2. À l’époque, Picasso travaillait depuis plus d’un an avec des modèles tirés des fresques pompéiennes, sous l’influence du monde classique et de ses religions3. À Gósol, le monde pompéien a éclaté avec force dans sa peinture quand il est entré en contact avec les anciens rites agricoles d’origine païenne et l’art roman de la région. Les modèles pompéiens allaient se fondre avec le primitivisme gosolan, donnant naissance à un ensemble d’œuvres parmi lesquelles se trouvent les Paysannes d’Andorre.

Il a été souvent déclaré que Picasso avait peint à Gósol isolé de son entourage, et l’œuvre de la période a été analysée à partir d’influences qui pouvaient être documentées depuis les grandes métropoles. Une importance excessive a ainsi été accordée à l’influence d’Ingres4 et de l’art ibérique5, conditionnant la compréhension des travaux gosolans. Le principal apport de Gósol à la peinture de Picasso serait, selon la critique, la couleur ocre de son environnement alors qu’en réalité Gósol est, au printemps et en été, vert vif et marqué par les taches grises de la pierre et de la terre6. L’historiographie a largement ignoré la réalité gosolane dans les études picassiennes et l’œuvre de la période en devient presque incompréhensible.

Nous allons ici tenter d’analyser les Paysannes d’Andorre avec la profondeur que mérite cette œuvre clé dans la transition entre l’ensemble du travail gosolan et Les Demoiselles d’Avignon, œuvre capitale du XXème siècle.7 Nous allons expliquer quelques-unes des influences qui déterminaient le travail de Picasso quand il est arrivé à Gósol, grouper par sujet les œuvres créées à Gósol, en soulignant les aspects qui les lient aux Paysannes d’Andorre. Nous passerons ensuite à l’étude des Paysannes d’Andorre et à leur évolution jusqu’à Deux femmes nues (1907) et aux Demoiselles d’Avignon (1907). Une brève introduction exposera les relations peu connues à l’extérieur de la région entre Gósol et Andorre, et nous évoquerons quelques idées sur la nationalité des Paysannes.

 

Notes
1. Influence de Gauguin sur Picasso : RICHARDSON JOHN Picasso. Vie de Picasso. Vol. I (1881-1906). Paris, Éditions du Chêne, 1992 (NY Random House 1991), pp. 456 et 463.

2. AMADES, JOAN Costumari català. Vol. III. Barcelone, Salvat Editores, 1952, pp. 335-342, 693-697 et al.

3. BONCOMPTE COLL, CONXITA, Iconografía picassiana entre 1905 y 1907. Influencia de la pintura pompeyana (Iconographie picassienne entre 1905 et 1907. L’influence de la peinture pompéienne).Thèse doctorale dirigée par Dr. Lourdes Cirlot et soutenue le 9 novembre 2009 à l’université de Barcelone (voir www.tesisenxarxa.net/TDX- 1120109-093323/ et l’article « Iconografía picassiana, 1907-1907. Influencia de la pintura pompeyana » dans le nº 335, juin 2011, de la revue Goya (Fundación Lázaro Galdiano, Madrid)

4. Pierre Daix est le principal représentant de cette tendance. Il explique : « Ingres provoque Picasso, qui ne s’arrêtera pas tant qu’il ne l’aura pas dépassé même sur le plan du classicisme, avec des œuvres d’une noblesse inégalable, telles que le Meneur de cheval nu (début 1906) ou ses nus les plus grecs, comme Les adolescentes ou La toilette, réalisés dans la solitude catalane de Gósol. (…) Il est fascinant que le séjour à Gósol, où il a affronté le défi psychologique posé par Ingres, mette en évidence un nouveau domaine d’exploration. Picasso, sur des sujets empruntés à la vie quotidienne de la montagne catalane, a réalisé des simplifications et des abstractions dont l’objectif commun sera d’ôter tous les éléments psychologiques à ses personnages ». BONET CORREA, ANTONIO; DAIX, PIERRE et al : Picasso 1881-1981. Madrid. Ed. Taurus, 1981, pp. 28-29. Voir aussi : DAIX, PIERRE « Picasso et la tradition française » dans Picasso et les maîtres, Paris, Ed. Réunion des Musées Nationaux, 2008, pp.72-87.

5. SWEENEY, JAMES JOHNSON « Picasso and Iberian Sculpture ». The Art Bulletin, Vol. 23, Nº 3 (sep. 1941), pp. 191-198.

6. La Dr. Jessica Jacques a noté également la prédominance des verts et des gris à Gósol, plutôt que des ocres. JACQUES PI, JESSICA Picasso en Gósol. 1906 : un verano para la modernidad. Madrid, La balsa de la medusa, 2007, p.51. Une autre couleur dominante à Gósol était le bleu avec lequel étaient peints 80% des ouvertures et portiques qui donnaient sur les basses-cours. Cette information m’a été fournie par M. Domingo Mora, de Cal Pelat de Gósol, lors du débat après ma conférence sur les Paysannes d’Andorre à Puigcerdá le 11 octobre 2010.

7. Les articles sur les Paysannes d’Andorre ont été jusqu’à présent brefs et généralement inclus dans des catalogues d’expositions consacrés à d’autres sujets. L’article le plus intéressant est celui de TINTEROW, GARY Master drawings by Picasso. Cambridge, Massachusetts, Fogg Art Museum, 1981, pp. 70-71. Catalogue de l’exposition présentée au Fogg Art Museum de Cambridge en 1981. Le catalogue de l’exposition Picasso 1905- 1906 consacre aux Paysannes d’Andorre un article, avec d’autres dessins de danseurs, également de grand intérêt : AA. VV. Picasso 1905-1906. Barcelone, Electa, 1992, pp.326-331.

Paysannes d’Andorre. Gósol, 1906.