La nationalité des Paysannes d’Andorre

Les liens entre Gósol et Andorre naissaient d’une relation permanente entre les habitants. Les échanges entre Gósol et Andorre permettent de penser que les femmes représentées par Picasso pourraient être andorranes ou que Picasso les voulait andorranes. Le titre du dessin reprend de plus le nom sous lequel étaient connus les Andorrans dans la région à l’époque : Pagesos d’Andora, « paysans d’Andorre »8.

Le dessin intitulé Paysannes d’Andorre est arrivé à l’Art Institute of Chicago en 19309 avec deux inscriptions au crayon au dos : la signature de l’artiste et le titre Paysannes d’Andorre.10 Par conséquent, ces paysannes sont andorranes depuis au moins 81 ans 11.  La remise en question de la nationalité andorrane des Paysannes proviendrait du changement de titre de quelques œuvres de Picasso, notamment des Paysannes d’Andorre et des dessins qui s’y rapportent, changement réalisé par Palau i Fabre en 1980, après la mort de l’artiste12. Le nouveau titre de Palau, ajouté à la méconnaissance générale des relations entre Gósol et Andorre, a suscité des doutes sur la nationalité andorrane des Paysannes d’Andorre.

Palau, écrivain et poète ayant réalisé un travail admirable de compilation et d’archivage de l’œuvre de Picasso, a ajouté librement aux œuvres de l’été 1906 l’épithète de gosolà ou gosolanes. Les nouveaux titres de Palau diffèrent de ceux de Daix, dont le catalogue avait été révisé et corrigé par Picasso lui-même.13 Ainsi, Cabeza de mujer (Tête de femme)14 devient chez Palau Cap de gosolana (Tête de Gosolane)15 et Cabeza de aldeana (Tête de villageoise)16  s’est transformé chez Palau en Cap de gosolana vist de front (Tête de Gosolane vue de face)17, pour ne citer que quelques-uns des changements effectués par Palau. Notre dessin Paysannes d’Andorre, pour lequel Daix a respecté l’inscription qui figurait au verso18 (Paysannes d’Andorre), a été rebaptisé par Palau Dues andorranes i rostre de gosolana (Deux Andorranes et visage de Gosolane)19. Dans un commentaire désinvolte sur l’évolution des Paysannes d’Andorre, Palau écrit : «...Évolution d’un couple d’homme et de femme (catalogue Palau y Fabre n° 1325) tout de suite transformé en un couple de femmes (catalogue Palau y Fabre n°1353) avec les visages des deux Gosolanes par lesquelles Picasso avait été particulièrement attiré et qui, nous ne savons pas pourquoi, sont désignées, parfois, andorranes (sans doute parce que, pour beaucoup de gens, une Andorrane est plus localisable géographiquement qu’une Gosolane) (...) Ce couple de Gosolanes (les Paysannes d’Andorre) finira par devenir, avec de légères variations dans l’attitude, Deux Femmes nues enlacées (catalogue Palau y Fabre n°1354)» 20.

La question est de savoir pourquoi Palau, sans le consentement de l’artiste et sans recherche justifiant ses changements, renomme les œuvres en soulignant leur lien avec Gósol. Si Paysannes d’Andorre devient Deux Andorranes et visage de Gosolane, nous devons donc penser que l’Andorrane à gauche a changé de nationalité dans l’étude isolée de son visage que l’artiste a ajoutée quelques centimètres plus bas, sur la même feuille de papier. L’étude du visage de l’Andorrane ressemble au visage des paysannes que Palau vient de rebaptiser Tête de Gosolane ou Tête de Gosolane vue de face, et par un exercice de simplification des traits que nous allons commenter plus tard, à la plupart des visages de Fernande que Picasso a peints cet été-là.

 

Notes

8. Le Père Ramón de Canillo (Andorre) a expliqué au cours du débat postérieur à ma conférence sur les Paysannes d’Andorre à la mairie d’Andorre-la-Vieille (19 mai 2010) qu’à La Seu d’Urgell, et en général dans toute la montagne pyrénéenne, les Andorrans, pour être les plus pauvres et enracinés dans la terre de la région, étaient appelés «paysans d’Andorre » et non « Andorrans », ni « gens d’Andorre ». Le terme « paysans d’Andorre » était utilisé puisqu’ils étaient les plus primitifs. Le Père Ramon a appris cette dénomination de son père qui, comme lui, était né en Urgell et avait des relations avec La Seu où il avait fait son service militaire en 1920. Voir : AA. VV. Andorra i els seus veïns del sud (16ª Diada Andorrana XXXV Université Catalane d’Été. Prada de Conflent, 23 août 2003). Andorre. Édité par la Societat Andorrana de Ciències. 2004. Ventura Roca i Martí, dans « L’Alt Urgell i Andorra » p. 84, explique que « nos grands-parents voyaient Andorre comme un pays pauvre de bergers et de gens qui vivaient de la terre et des animaux… »

9. Le banquier Robert Allerton a fait don de l’œuvre qui se trouve toujours à l’Art Institute of Chicago. Information fournie à l’auteur par Emily Vokt Ziemba, Collection Manager -Department of Prints and Drawings, The Art Institute of Chicago, le 30 novembre 2010

10. Information fournie à l’auteur par Emily Vokt Ziemba, Collection Manager -Department of Prints and Drawings, The Art Institute of Chicago, le 30 novembre et le 10 décembre 2010.

11. Paysannes d’Andorre n’est pas, comme certains l’ont suggéré, un titre inventé par les américains parce qu’ils ne connaissaient pas l’existence de Gósol.

12. Les nouveaux titres créés arbitrairement par de Palau ont suscité des confusions dans d’autres occasions. Richardson critique le changement de nom effectué par Palau de l’œuvre intitulée Montrouge sous la neige (1917) que Palau a rebaptisé arbitrairement, Composition Rococo. Il ajoute que « Quand il ignorait la provenance d’une œuvre, Palau méprisait son utile collection d’illustrations attribuant, de forme erronée, des œuvres aux ‘héritiers de l’artiste’ ». RICHARDSON, JOHN A Life of Picasso. Vol. III (1917-1932). Londres. Pimlico, Random House. 2009, p.75 et note 33 du chap. 6.

13. L’artiste a demandé à Daix de changer certains titres. Voir, par exemple, la correction de Femme à la mantille blanche. Daix explique : « la rectification était faite par Picasso quand l’illustration était déjà gravée dans cette section du catalogue ». DAIX, PIERRE et BOUDAILLE, GEORGES Picasso 1900-1906. Catalogue raisonné. Ed. Blume. Barcelone, 1972 (première édition : Ides et Calendes. Neuchâtel-Succeí, 1966), p.308.

14. DAIX, Catalogue raisonné, Picasso 1900-1906, XV. 55 et Zervos VI 763.

15. PALAU, Picasso vivent 1881-1907, 1303.

16. DAIX, Catalogue raisonné, Picasso 1900-1906, XV. 38.

17. DAIX, Catalogue raisonné, Picasso 1900-1906, XV. 38.

18. Paysanes d’Andorre, DAIX, Catalogue raisonné, Picasso 1900-1906 p. 296.

19. PALAIS, Picasso vivant 1881-1907, p. 471.

20. PALAU I FABRE, JOSEP Picasso vivant 1881-1907. Albin Michel. Paris, 1981 (1ère édition, Ed. Polígrafa, 1980), p. 470.