Le Cubisme, « source de profits » pour André Breton

La collaboration entre les cousines et leurs maris montrent qu’ils étaient tous parfaitement conscients des profits potentiels sur l’art cubiste venant des ventes Kahnweiler. Leur correspondance mentionne des achats, des possibilités d’échange avec Kahnweiler mais aussi avec Léonce Rosenberg lorsqu’ils avaient besoin de liquidités. Le marchand allemand Karl Nierendorf qui semble avoir été proche des Levy est régulièrement cité. En effet Denise et Georges Levy vivaient à Strasbourg, proche de la frontière franco-allemande et allaient régulièrement à Cologne pour acheter des œuvres à la galerie Nierendorf et à la succursale de la Galerie Alfred Flechtheim.

Après la guerre, l’économie allemande connut une super-inflation, particulièrement en 1922-23 quand le paper-mark ne valait plus rien (multiplié par 100 milliards). Cette extraordinaire dévaluation du mark augmenta considérablement le pouvoir d’achat des étrangers, faisant du franc ou du dollar, une monnaie très forte alors que le mark, extrêmement fluctuant, n’était plus du tout fiable. Cette situation est expressément décrite dans les lettres entre les cousines. A la fin de 1922, Denise écrit à Simone : «  Georges irait bien à Cologne surtout maintenant que le mark est à 70 » (Lettre de Denise Lévy à Simone Breton, 3 août 1922, archives privées), et quelques mois plus tard, alors qu’ils rentrent d’un voyage en Allemagne : « Il y aurait vraiment de l’argent à gagner pour André, tache de t’en occuper il y aura peut-être des choses avantageuses à acheter ou bien André pourrait lui en vendre. On veut en Allemagne des tableaux de peintres français en argent français et ils sont très recherchés, surtout Braque, Picasso, Derain, Léger » (Lettre de Denise Lévy à Simone Breton, 5 novembre 1922, archives privées). Denise continue plus tard en demandant si Simone peut se procurer des Braque et Léger et quels seraient leurs prix. Georges Levy lui-même écrit à Simone en 1924 en mentionnant des affaires possibles avec le frère de Denise, Jean Nordmann autour d’œuvres provenant des ventes de séquestre. Le parcours de certaines œuvres semble difficile à retracer tant elles ne cessent de changer de mains.

En mai 1924, Georges écrit : « Nordmann achète le Léger 2500 frs si vous êtes toujours décidé à le vendre. Pour financer notre prochain voyage à Paris, je voudrais vendre le Picasso (jeune fille) qui est chez Kahnweiler à Nordmann. Je lui ai dit qu’il coute à peu près 2300 frs » (Lettre de Georges Lévy à Simone Breton, 24 mai1924, archives privées). Si cette Jeune Fille de Picasso qui semble être en dépôt à la galerie Kahnweiler est celle achetée par Simone dans la 4e vente, son prix a été multiplié par dix. Les Levy avec l’aide de Simone et les conseils d’André Breton agissaient comme courtiers, ce que démontre un courrier de Georges de juin 1924 : « Ma Chère Simone, 1e ce qui m’intéresse quand à Nordmann c’est la possibilité de gagner de l’argent. Je ne sais pas s’il est avantageux de lui offrir des tableaux d’Eluard ou celui de K. En tous cas – si cela ne vous ennuie pas – il serait utile d’aller demander à K. le prix du Picasso / 2e Chez Eluard j’ai vu plusieurs tableaux qui me tentent beaucoup. Choisissez avec l’aide d’André le Chirico qui vous plait le mieux. S’il n’est pas parmi les plus chers vous pourriez en prendre deux » puis il conclut sa lettre : « Braque ne m’intéresse en ce moment qu’à des prix de vente Kahnweiler – il n’y aura donc rien à faire probablement » (Lettre de Georges Lévy à Simone Breton 5 juin 1924, archives privées). En effet, seulement un an après la dernière vente Kahnweiler, les œuvres cubistes, en dépit des critiques nationalistes associant le Cubisme à l’art boche, virent leurs prix augmenter de manière significative. Elles suscitaient un vif intérêt dans le groupe surréaliste grâce à leur qualité esthétique mais aussi comme une source de profits par leur commerce à l’intérieur du groupe et leur revente aux collectionneurs extérieurs.

Picasso, "Verre et dé", papiers collés, gouache et crayon noir sur papier monté sur carton, 1914