Autres composants des références picassiennes : l’ésotérisme, le mouvement rosicrucien et l’opium.

L’aspect magico-religieux des cérémonies gosolanes, ainsi que leurs racines païennes et ésotériques, devaient attirer Picasso, qui était superstitieux et avait été initié à l’occultisme par deux maîtres, ses amis intimes Max Jacob et Guillaume Apollinaire68. À Gósol, le peintre a eu l’occasion d’enrichir sa formation par des pratiques in situ.

Les rites gosolans mettaient en évidence la continuité entre le monde païen et le chrétien. Cette continuité était maintenue par les Néoplatoniciens et, une fois supprimée l’Inquisition, ressurgirent des cercles secrets qui avaient conservé la tradition «vivante», comme les Rose-Croix que dirigeait Sâr Péladan. Le Grand Maître cherchait, entres autres, à fondre le mouvement rose-croix avec le christianisme. Leurs idées ont influencé l’entourage picassien69 et l’œuvre gosolane de Picasso reflète cette union entre symboles païens et chrétiens.

Par ailleurs, l’opium, que Picasso et son cercle appréciait, était attaché aux anciennes religions mystériques, en particulier avec le culte du blé présidé par Déméter et Perséphone ( fig.16 ) . L’opium favorisait l’accès à la connaissance, à l’immortalité de l’âme et à des états de révélation. La fleur dont est tiré l’opium, le pavot, est l’un des emblèmes de la déesse Perséphone. C’est la fleur que dessina Picasso sur son carnet de notes gosolan, son Carnet Catalan. Des pipes d’opium sont aussi représentées dans ce carnet où est écrit le mot « opium », ainsi qu’une ordonnance pour du laudanum.70

 

Fig  17-18

 

L’opium, comme l’expliquent Jean Cocteau, sir Harold Acton, ou Fernande71,  fournit au fumeur d’opium la capacité de se métamorphoser en permanence, la sensation de pouvoir arriver où il veut sans le moindre effort et une expérience extracorporelle qui permet de tout contempler, soi-même et le monde, avec impartialité72. Cocteau appelait l’opium «le tapis volant» et Picasso considérait la senteur de l’opium comme «la plus intelligente des odeurs»73.

L’opium plaçait ces artistes au niveau des anciens initiés et la capacité de métamorphose qu’il leur procurait leur permettait de se sentir et de voir comme eux. Les mises en scène théâtrales des anciens Mystères initiatiques dans les cercles ésotériques parisiens74 trouvaient à Gósol certains de leurs derniers vestiges réels.

 

Notes

68. RICHARDSON, JOHN, op. cit., Vol. I (1881-1906), pp. 207, 216, 331 et 334.

69. Voir le nombre de publications de Papus et de Sâr Péladan, parmi d’autres occultistes, dans la bibliothèque d’Apollinaire : BOUDAR, GILBERT et DÉ-CAUDIN, MICHEL La bibliothèque de Guillaume Apollinaire. Paris, Éditions du Centre National de la Recherche Scientifique, 1983. Voir aussi M. FREIXA, op. cit., pp. 435-439; Gabriela di Milia, « Picasso and Canudo, a Couple of Transplantés » dans AA.VV. Picasso : the Italian journey 1917-1924, sous la direction de Jean Clair, Londres, Thames and Hudson, 1998, pp. 75-77 et RICHARDSON, JOHN, op cit., Vol. I (1881-1906), p. 340.

70. Selon Fernande Olivier, Picasso a arrêté de fumer de l’opium en 1908 suite au suicide d’un ami pour intoxication multiple. À Gósol, ils fumaient encore de l’opium. Le couple est allé se réfugier dans le petit village de Rue-des-Bois, dans la banlieue de Paris, en 1908 pour mettre fin à leur opiomanie. OLIVIER, FERNANDE, op. cit., p. 183.

71. OLIVIER, FERNANDE Recuerdos íntimos. Escritos para Picasso. Barcelone. Ed. Parsifal. 1990 (1ère éd. Souvenirs intimes : écrits pour Picasso, Calmann- Lévy, 1988), pp. 149 et 150 et OLIVIER, FERNANDE Picasso y sus amigos. Madrid. Taurus Ediciones. 1964 (Picasso et ses amis, Stock, Paris, 1933), p. 45 et p. 46.

72. COCTEAU, JEAN Opio. Buenos Aires, Editorial Sudamericana, 2002 et ACTON, HAROLD Memorias de un esteta (originally Memoirs of an Aesthete), Valencia, Ed. Pre Textos, 2010, pp. 522 et 523.

73. RICHARDSON, JOHN El aprendiz de brujo. Madrid, Alianza Editorial, 2001. (1ère édition The sorcerer’s Apprentice, 1991), pp. 313 et 314.

74. Sâr Péladan avait organisé des représentations théâtrales des anciens Mystères. Référence consultée le 9 mai 2011 sur fratreslucis.netfirms.com/Peladan01.html